Depuis 2018, la chute a été vertigineuse. Jusque-là championne européenne de la production de médicament, la France est passée de la première à la quatrième place, derrière la Suisse, l’Allemagne et l’Italie, et talonnée par le Royaume-Uni.
La baisse régulière des prix, très souvent mise en avant par les industriels, est une explication désormais reprise par l'exécutif. « La France a perdu son attractivité, et le médicament a souvent été la variable d’ajustement », a admis Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie, lors des Assises de l’Avenir consacrées à l’indépendance sanitaire.
Ruptures d'anesthésiants : catastrophe frôlée
Si la concurrence est très majoritairement asiatique – 80 % des principes actifs sont fabriqués en Inde et en Chine – elle est aussi continentale et résulte d’une politique d’investissement plus soutenue chez nos voisins. « Depuis 10 ans, il n’y a aucune croissance sur le médicament en France, alors que l'Allemagne fait +6 %. Nous ne sommes pas compétitifs », regrette Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les Entreprises du médicament).
L'ambition de relocaliser les chaînes de production a été catalysée par la crise du Covid, qui a jeté une lumière crue sur la dépendance tricolore sur le plan sanitaire. « Nous avons frôlé la catastrophe sur les ruptures d’anesthésiants. Nous avons besoin de souveraineté pour maîtriser l’ensemble des filières en France, avec l’aide d’une politique territoriale assumée », analyse Cédric Arcos, maître de conférences à Sciences Po et directeur général adjoint de la région Île-de-France.
Dans ce contexte, la reconquête sanitaire passe sans doute par les territoires pour augmenter les capacités de production mais aussi organiser un écosystème favorable entre industrie, recherche académique et politique du médicament, des mondes encore trop cloisonnés dans notre pays.
Le levier des régions
Certains ont déjà sauté le pas de la production made in France, comme David Simonnet, PDG d’Axyntis, un des leaders de la chimie fine dans l'Hexagone. « J’étais convaincu que la désindustrialisation aurait un jour ses limites et porterait des menaces graves sur la santé publique », explique-t-il. En 2020, Axyntis a remporté un appel à projet pour mettre en place la fabrication de molécules anticancéreuses sur son site de Pithiviers, dans le Loiret. « C’est l’État qui avait confié le financement à la région Centre-Val de Loire car les régions connaissent sans doute mieux les PME de leurs territoires », se souvient David Simonnet. Autre signal favorable, huit molécules essentielles pour la réanimation vont être relocalisées dans ses usines, toujours avec l’aide de l’État. « Relocaliser toute la production partie en Asie est illusoire », tempère le PDG, persuadé « qu’il faut relocaliser les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur et l’innovation ».
Car en France, on a souvent les idées – 84 molécules thérapeutiques innovantes en cours de développement – mais pas souvent les moyens de concrétiser ici les projets de production. À titre d’exemple, 85 % des biothérapies sont produites aux États-Unis.
Le handicap des délais d'accès au marché
Essais cliniques et production à grande échelle supposent des investissements de plus en plus lourds et, dans ce contexte, les délais d'accès au marché restent un vrai handicap. Ils étaient encore, sur la période 2016-2018, de 566 jours en moyenne en France jusqu'à la commercialisation (contre 125 jours en Allemagne), alors que la directive européenne de 2001 les fixe à 180 jours.
« Notre objectif est de simplifier les dispositifs d’accès précoce », assure Agnès Pannier-Runacher. Après les défaillances subies pendant la crise, la ministre espère faire de la France « la première nation innovante et souveraine en santé d’ici à 2030 ». Le plan de relance doit permettre d'accélérer ce processus. Quelque 500 millions d'euros ont été promis jusqu’en 2022 pour des projets de relocalisation et d’investissement dans des médicaments d’avenir.
En attendant, faute de principes actifs français, la crise a déjà accéléré la relocalisation des chaînes de production de vaccins contre le Covid. L’État a injecté des financements dans les deux sites de fabrication – Delpharm en Eure-et-Loir (qui embouteille les doses de Pfizer/BioNTech) et Recipharm en Indre-et-Loire (pour Moderna).
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