La chronique de Richard Liscia

Fillon, l'énergie du désespoir : l'alternance improbable

Par
Publié le 13/04/2017
Article réservé aux abonnés
Fillon : l'énergie du désespoir

Fillon : l'énergie du désespoir
Crédit photo : AFP

A la porte de Versailles, devant un public nombreux, mais pas plus large que celui qu'a réuni dimanche à Marseille, Jean-Luc Mélenchon, l'ancien Premier ministre a prononcé un excellent discours. C'est un document qui restera dans les mémoires car il est allé au fond des choses, notamment quand il a évoqué le rapport entre la défense des libertés et la lutte contre les inégalités. Il est vrai que, sur le plan philosophique, la gauche a imposé la suprématie de celle-ci sur celle-là, ce qui a influencé négativement notre développement économique. Nous avons consacré plus de ressources à la protection sociale que nous n'en avons accordé à la liberté des entreprises, donc à notre capacité à créer des emplois. On ne pouvait mieux exposer la nature du mal dont souffre le pays, au moment où les principaux candidats, sauf Emmanuel Macron, proposent une socialisation accrue de notre fameux modèle.

M. Fillon dit que les sondages ne reflètent pas la réalité politique de la France, car ils signifieraient que près de 60 % des électeurs réclameraient ou accepteraient la sortie de la France de l'Europe et de l'euro, le rétablissement de toutes les frontières géographiques, humaines, économiques et commerciales, et donc une forme de suicide assuré. Le candidat de la droite et du centre fait la bonne analyse, mais qui dit que l'électorat n'en est pas arrivé à réclamer ce que, par conviction ou par démagogie, le FN, le PS incarné par Benoît Hamon, le souverainisme de pacotille de Nicolas Dupont-Aignan et l'extrémisme effréné de Jean-Luc Mélenchon sont prêts à lui donner ? Il ne s'agit pas du tout d'une année électorale semblable aux autres. La responsabilité des gouvernements précédents dans les choix irrationnels des électeurs d'aujourd'hui est immense. La responsabilité de M. Fillon, qui a maintenu sa candidature contre tout ce qui la condamnait n'est pas moins grande.

L'aveu du candidat de la droite

Dans son discours de la porte de Versailles, il a même fait cet aveu incroyable : « Je ne vous demande pas de m'aimer, je vous demande de voter pour moi ». Ce fut peut-être le moment le plus sincère de la campagne, celui où s'est formé un terrible consensus dans la grande famille de la droite et du centre : M. Fillon a un programme susceptible de mettre fin à la crise structurelle de l'économie française, mais il n'est pas le mieux placé pour incarner ce programme. Que n'a-t-il renoncé à poursuivre sa campagne le jour fatidique où il a été mis en examen et où il avait le choix de tenir parole, ce qu'il n'a pas fait !  La plupart des observateurs constatent qu'il se situe toujours à 18 % d'intentions de vote, ce qui, compte tenu de ses déboires personnels, correspond effectivement à un succès remarquable.  Mais, à dix jours du premier tour, nous n'en sommes plus à admirer les figures de style. Nous constatons une évolution de l'électorat qui ne craint pas les pires options et qui, pour renverser la table, se moque de prendre une décision périlleuse.

M. Mélenchon ne prend pas des suffrages à M. Fillon. Il a simplement ratiboisé M. Hamon, qui est à 9 %, et sème un désordre historique au sein du parti socialiste qui ne se relèvera pas avant longtemps de la défaite qui l'attend. Mais en même temps, les scores de Marine Le Pen et d'Emmanuel Macron s'affaissent de deux points, de sorte que, si la tendance se confirme, la dynamique de M. Mélenchon peut le porter à la troisième place, devant M. Fillon, puis à la deuxième, devant M. Macron. Et le second tour, alors, se jouera entre deux candidats, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, qui ne cachent pas leur volonté de détruire la Vè République. A la disparition du PS, le risque est grand que s'ajoute celle de la droite, conformément à un canevas qui a produit l'éviction de MM. Hollande et Sarkozy, puis celle de M. Juppé, puis celle de M. Fillon, et peut-être celle de M. Macron. Lequel risque de ne plus pouvoir servir de pare-feu à l'ascension d'un (ou d'une) autocrate porteur de noirs desseins. 

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9572