« Depuis notre création en 1995, nous n'avions jamais eu à soigner des personnes avec une clinique aussi sévère », observe le Dr François Ducrocq, psychiatre de la CUMP Zone Nord. « Et ce, parfois 10 jours après le 13 novembre ! » ajoute-t-il. « Là où, dans une catastrophe de moyenne importance, on a 20 à 30 % de symptômes gravement dissociatifs, nous avions entre 70 et 80 % de manifestations psychotraumatiques aiguës », jauge le Pr Didier Cremniter, psychiatre référent national du réseau et directeur de la CUMP parisienne.
Autre singularité frappante : les secours (forces de l'ordre, pompiers, SAMU, etc.) ont été très ébranlés. L'attentat de Nice a en outre tragiquement rappelé que les enfants aussi peuvent être touchés.
Dès Charlie Hebdo, les CUMP repensaient leurs pratiques. « Nous sommes dans une dynamique d'amélioration notoire depuis janvier 2015, où nous avons pu faire choses peu appropriées, comme rassembler dans un même lieu les personnes traumatisées et endeuillées » observe le Pr Thierry Baubet, pédopsychiatre et responsable de la CUMP 93.
Le 13 novembre, les CUMP mesurent rapidement l'ampleur de la situation. Au-delà de la mobilisation des professionnels de l'urgence médico-psychologique, la nécessité d'un dispositif courant sur plusieurs semaines s'impose rapidement. « Il faut non seulement être très réactif et se mobiliser en nombre, mais aussi assurer des relais, tous les 2 jours, pour ne pas épuiser les équipes », ni déshabiller les services, explique le Dr Ducrocq. « On a vu que la fréquentation augmentait pendant les premiers jours et restait importante durant 2 à 3 semaines. Il faut donc des dispositifs durables, de deux à 4 semaines », corrobore le Pr Baubet.
Autre enseignement du 13 novembre, la mise en place de CUMP dans plusieurs sites, avec une coordination. « Les autorités avaient imaginé un dispositif hospitalo-centré. Mais dans le feu de l'action, les mairies ont ouvert leurs portes, des lieux d'accueil et de soins ont éclos dans la cité au plus près des habitants. C'est irremplacable, car beaucoup de gens ne seraient pas venus aux urgences des hôpitaux » raconte le Pr Baubet.
De l'urgence au suivi
Néanmoins, l'articulation avec l'après reste problématique selon les responsables : « Les autorités disent : la CUMP c'est un mois, puis c'est le droit commun. Mais ce dernier trouve vite ses limites, avec des structures de soins débordées ! » s'inquiète le Pr Baubet. « Les gens ne savent pas toujours vers qui se tourner et risquent de rester sur le carreau », insiste-t-il. Et de déplorer la rareté et fragilité des consultations de psycho-traumatologie.
Les psychiatres des CUMP rappellent plus que jamais l'importance du réseau, ne serait-ce que pour rattraper les blessés passés à travers les mailles du filet. En outre, « la psychiatrie de secteur abonde le réseau des volontaires : elle doit donc être courtisée et mise dans l'équation », note le Dr Ducrocq.
Autre piste d'évolution suggérée par les psychiatres : créer des centres ressources départementaux sur les soins post-traumatiques, pour la clinique, la recherche, et l'enseignement.
Vers un livre blanc
Les réflexions menées depuis les attentats de 2015 ont commencé à se traduire dans des textes officiels. Dès avril 2016, trois documents, réalisés par le groupe de travail permanent des CUMP, présidé par le Pr Didier Cremniter, ont été validés par la direction générale de la santé (DGS) : le dossier médical des CUMP (utilisé dès Nice), un modèle de certificat médical et une fiche sensibilisant les patients à la possibilité de recontacter une CUMP par la suite. « Assurer la traçabilité des patients est crucial car les rechutes ne sont pas prédictibles. Les patients, qui en majorité ne sont pas hospitalisés, doivent pouvoir se réadresser immédiatement à une CUMP », commente le Pr Cremniter.
Le psychiatre devrait aussi remettre cette semaine à la DGS un cahier des charges des Postes d'urgences médico-psychologiques (PUMP), une révision du référentiel de formation pour les personnels CUMP et des recommandations pour la prise en charge médico-psychologique, qui seront reprises dans un livre blanc, au printemps 2017. « Il s'agit d'établir la doctrine telle qu'on la conçoit aujourd'hui, en éclairant des points jusqu'ici imprécis », explique le Pr Cremniter. Par exemple, la place de la CUMP dans la phase immédiate. « Il faut des personnels CUMP dès que les évènements commencent, sans pour autant prendre de risques ». « Cela suppose d'avoir beaucoup de volontaires en phase aiguë et que l'administratif – le conventionnement par exemple – suive », ajoute-t-il. Enfin, l'articulation avec l'après sera bien sûr abordée. « Nous prônons un système opérationnel qui permette à la CUMP de se réactiver en cas de besoin, lorsqu'une personne déclenche une pathologie, ou à l'occasion d'événements » comme les commémorations, indique le Pr Cremniter.
Des évolutions sont encore à attendre. Qui pourraient aussi se nourrir des réflexions mûries lors de la 4e journée nationale de l'aforcump, le 14 décembre à Lille, ou de la journée sur l'enfance attaquée, organisée par la société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent le 6 mars 2017.
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