La chronique de Richard Liscia

Pourquoi Le Pen peut gagner : le vote futile

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Publié le 06/04/2017
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Le vote futile

Le vote futile
Crédit photo : AFP

La sagesse conventionnelle s'exprime de la façon suivante : aussi sûrement que Mme Le Pen arrivera en tête au premier tour, elle perdra au second. Les éléments de cette certitude sont multiples : si Marine est vénérée par les électeurs frontistes, elle est tout autant rejetée par les autres, soit deux Français sur trois ; elle ne peut s'allier à aucun autre parti politique pour concrétiser sa victoire ; elle sait elle-même qu'elle va faire un très bon score, elle ne croit pas être élue cette année.

En réalité, le suffrage universel ne se limite pas à l'arithmétique. Benoît Hamon a gagné la primaire socialiste bien que les frondeurs fussent minoritaires au sein du PS. Mme Le Pen sera battue tant qu'elle aura en face d'elle un homme (ou une femme) compétent, républicain, respectueux des libertés et, surtout, capable de séduire en dehors de l'arène de son parti. Il faut, pour gagner, avoir une dimension universelle, que Mme Le Pen n'a pas (au point d'en être handicapée), mais qu'ont d'autres candidats. Pas tous. Cette année a jeté dans la course les professionnels de la candidature, comme M. Dupont-Aignan, abonné aux déroutes, ou comme Jacques Cheminade, pour qui c'est un coûteux passe-temps. Mais les primaires ont produit également des personnages rares, par exemple Benoît Hamon, qui ne manque ni d'intelligence ni de courage, et nous convie lui aussi à une aventure ; ou François Fillon, que tout le monde croyait vêtu de probité candide et de lin blanc.

Et puis, Jean-Luc Mélenchon est arrivé. Il ne nie pas qu'il est un vétéran de la présidentielle, mais qu'est-ce qu'il a changé ! Orateur infatigable, certes, cependant moins désagréable qu'autrefois. Il a appris à ne pas décourager un éventuel électeur et donc il évite d'assassiner les gens avant qu'ils aient jeté leur bulletin dans l'urne. Sait-on jamais ? Des fois qu'il commencerait à plaire aux électeurs de droite... 

Une théorie vraisemblable

Rien ne nous interdit d'envisager une hypothèse selon laquelle Emmanuel Macron, le sphynx des lieux électoraux, est soutenu par un électorat « fragile, friable, versatile » (formidable vocabulaire français) qui pourrait s'éparpiller vers les endroits d'où il vient, c'est-à-dire la droite et gauche. Et patatras ! Au second tour, face à Marine, ce n'est pas Fillon, englouti avec ses casseroles, ce n'est pas Macron, c'est Hamon ou Mélenchon. Premièrement, il n'y a rien d'excessif dans cette théorie : à eux deux, Hamon et Mélenchon réunissent 25 % des voix, c'est-à-dire autant que Macron ou Le Pen. Un courant de pensée à lui seul. Deuxièmement, si, face à Marine Le Pen, dans un pays où toutes les droites confondues obtiendraient 65% des suffrages, c'est un homme très à gauche qui prétend pourfendre l'extrême droite, on va quand même beaucoup rire dans les chaumières. Une chose me semble d'une limpidité cristalline : rien, mais alors rien, ne dit que, placés devant ce dilemme, les Français vont préférer le gauchiste à la populiste. Et, dois-je le rappeler ? S'abstenir, c'est voter pour le vainqueur.

Dans cette hypothèse (qui fait froid dans le dos), l'issue du scrutin se joue non pas au second, mais au premier tour. Il ne faut pas se tromper de candidat, il ne faut pas voter futile si on est plutôt à gauche et hostile au Front national. Voter Hamon ou Mélenchon (qui croient, non sans naïveté, que les Français les préfèreront toujours à Marine), c'est donner une chance supplémentaire au FN. Seulement deux hommes éviteront au pays sa course vers l'abîme :  Fillon et Macron. Ils sont les  seuls dont on soit à peu près certain qu'ils battront la présidente du FN.  

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9570