Au sein de l’entité hétérogène que représente la lombalgie chronique, des modifications du signal IRM des plateaux vertébraux ont été décrites par Michael Modic en 1988. Un signal œdémateux (hypoT1-hyperT2) est associé à un concept de « discopathie œdémateuse ou active » qui a suscité récemment des développements thérapeutiques – injection intradiscale cortisonique, antibiothérapie – avec des résultats variables. Les bisphosphonates intraveineux pourraient avoir un effet antalgique dans les situations d’œdème osseux satellite d’une discopathie ou d’une poussée congestive d’arthrose du genou.
103 patients algiques avec discopathie de type Modic
Une étude australienne a donc évalué de manière rigoureuse l’effet de l’acide zolédronique (Zol) et du dénosumab (Dmab) chez des patients ayant une lombalgie chronique avec discopathie de types Modic 1 (œdémateuse) ou 2 (graisseuse) ou mixte en les comparant à un placebo.
Cette étude monocentrique a été conduite en double aveugle, contrôlée contre placebo, avec tirage au sort de groupes parallèles et rapport d’attribution de traitement de 1:1:1 pour une perfusion unique de 5 mg d’acide zolédronique (n = 35), une injection sous-cutanée de 60 mg de dénosumab (n = 31) ou une administration de placebo (n = 37).
Les 103 patients (61 % d’hommes) inclus étaient âgés d’au moins 40 ans (âge moyen 59,8 ± 10,1), avec une lombalgie chronique évoluant depuis plus de 6 mois (en fait, depuis de 4 à 30 ans en fonction des groupes), d’intensité supérieure à 40 mm sur une échelle visuelle analogique (EVA) de 100 (en moyenne de 55 à 60 ± 15 à 20 en fonction des groupes). Ils devaient avoir sur l’IRM des modifications de types Modic 1 ou 2 sur au moins un plateau vertébral entre T12 et S1.
L’évaluation fut faite à 6 mois après l’inclusion et le traitement sur les deux critères principaux suivants : modification de l’EVA de la douleur et de la surface (en mm2) des aspects de types Modic 1 ou 2. Des critères secondaires étaient aussi évalués : douleur lombaire (Low Back Pain Rating scale, LBPRS, de Manniche), handicap (questionnaire de Roland-Morris), qualité de vie (questionnaire AQoL-4D), réponse thérapeutique (critères de réponses de l’OARSI), modification de la proportion de patients ayant une discopathie de type Modic de 1 à 6 mois.
Une amélioration de la lombalgie sous traitement ?
Des deux critères principaux d’évaluation, aucun ne ressort de façon significative entre les groupes Zol et Dmab et le groupe placebo : l’EVA de la douleur diminue dans les trois groupes sans différence entre eux (voir figure) ; la surface de la zone de modification de signal en IRM n’évolue significativement à 6 mois dans aucun des trois groupes.
Dans l’analyse des critères secondaires, une diminution significative de la lombalgie sur la LBPRS est observée dans les groupes Zol et Dmab à 6 mois par comparaison au placebo, ainsi qu’une diminution du handicap à 3 mois dans le groupe Zol. La proportion de patients « répondeurs » était plus élevée dans les groupes Zol et Dmab à 3 et 6 mois, mais de façon non significative…
Dans les analyses post hoc, la taille d’effet de la relation entre la sévérité de la dégénérescence discale et de la présence d’un signal de type 1 de Modic et l'intensité de la douleur lombaire était cliniquement pertinente. Dans les analyses stratifiées, Zol et Dmab ont significativement amélioré la lombalgie chez les personnes ayant une dégénérescence discale plus légère sur une période de six mois, et Dmab a amélioré la lombalgie chez les personnes ayant une discopathie de type Modic 1, comparativement au placebo. L’analyse de sous-groupe a montré que la surface des modifications de type Modic 1 était augmentée dans les groupes Zol et placebo, mais qu’elle était légèrement diminuée dans le groupe Dmab, et que cette différence était statistiquement significative par rapport au placebo. L’analyse de sensibilité a montré que les deux traitements amélioraient significativement la lombalgie (EVA et LBPRS) par rapport au placebo chez les participants sans douleur neuropathique.
Les effets indésirables étaient habituels avec l’acide zolédronique et sans gravité.
Commentaire
Philippe Orcel et Johann Beaudreuil / Lariboisière, Paris
Des résultats décevants et peu convaincants
L’idée était originale, l’étude rigoureusement construite, et les résultats sont dans l’ensemble… décevants et peu convaincants. Il est impossible de conclure que les antiostéoclastiques puissants que sont l’acide zolédronique et le dénosumab peuvent avoir un intérêt dans la prise en charge des patients souffrant de lombalgie chronique avec modifications de types Modic 1 ou 2.
La même équipe de Graeme Jones avait publié en 2012 un essai avec l’acide zolédronique dans les poussées congestives de gonarthrose, suggérant que ce bisphosphonate réduisait la douleur et la taille de l’œdème médullaire sous-chondral et augmentait la proportion de patients améliorés à 6 mois (1). D’où, sans doute, l’idée de tester ce concept dans un autre modèle, voisin par son expression clinique et d’imagerie. Toutefois, les données de cette première étude étaient contestables et non reproduites par d’autres…
Dans un tout autre modèle, l’ostéome ostéoïde, différent par la nature de la lésion en cause mais voisin par l’expression clinique (douleurs chroniques) et d’imagerie (œdème osseux important), nous avons pu suggérer que les bisphosphonates intraveineux sont capables d’en réduire considérablement les symptômes à relativement court terme (2). Tester les médicaments antiostéoclastiques puissants dans ce type d’indications peut donc se concevoir !
Les résultats présentés ici sont peu convaincants pour diverses raisons. Les auteurs n’ont pas défini a priori un calcul d’échantillon, au prétexte qu’il s’agit d’une étude preuve de concept. Cela nuit à la puissance de cette dernière. Cependant, si l’effet thérapeutique avait été important, un petit nombre de patients aurait suffi à le mettre en lumière ! Les critères d’évaluation sont très (trop) nombreux, et les analyses post hoc permettent, comme souvent, de constater quelques différences significatives sur des critères secondaires d’évaluation. Du coup, le lecteur est un peu noyé dans toutes ces données et ces tableaux…
La lombalgie chronique est une entité clinique extrêmement hétérogène dont le démembrement phénotypique est en cours. L’individualisation d’un tableau fait de douleurs d’allures inflammatoire ou mixte, associées à des discopathies avec modifications du signal des plateaux vertébraux de type Modic 1, c’est-à-dire d’allure « congestive » ou « inflammatoire », a conduit à proposer une prise en charge nouvelle, en particulier avec infiltration cortisonique intradiscale pour une diminution des douleurs à court terme (1 mois) (3). Il est gênant de voir inclus dans l’étude australienne des patients ayant des phénotypes très différents : lombalgie chronique de durée d’évolution très variable, mélange de Modic 1 et 2. La signification de ces phénotypes est probablement différente, avec des patients sans doute « trop chroniques », ce qui peut être une explication aux données globalement négatives de cette étude. Le passage du Modic 1 (inflammatoire) vers le Modic 2 (graisseux) est connu, il prend d’un à trois ans. Il n’y a dans ce travail qu’une très faible preuve que les antiostéoclastiques testés aient pu modifier l’évolution de la réaction osseuse satellite de la discopathie : pas de modification de la surface des anomalies de Modic dans l’analyse principale, mais l’analyse de sous-groupe a révélé que la surface du Modic de type 1 était légèrement diminuée dans le groupe dénosumab par comparaison au placebo.
Il ne faut pas pour autant se décourager dans les efforts de recherche de nouveaux types de prise en charge des patients lombalgiques : le démembrement phénotypique précis, aidé par l’imagerie et peut-être d’autres moyens (génétiques ?) devrait permettre de conduire des essais sur des populations plus homogènes et mieux caractérisées.
Services de rhumatologie et de médecine physique et réadaptation, centre Viggo-Petersen, hôpital Lariboisière, Paris
(1) Laslett L. L., Doré A. D., Quinn S. J. et al.
« Zoledronic acid reduces knee pain and bone marrow lesions over 1 year: a randomised controlled trial », Annals of the Rheumatic Diseases,
vol. 71, no 8, août 2012, p. 1322-1328
(2) Bousson V., Leturcq T., Ea H. K. et al.
« An open-label, prospective, observational study of the efficacy of bisphosphonate therapy for painful osteoid osteoma », European Radiology,
vol. 28, no 2, février 2018, p. 478-486
(3) Nguyen C., Boutron I., Baron G. et al.
« Intradiscal glucocorticoid injection for patients with chronic low back pain associated with active discopathy: a randomized trial », Annals of Internal Medicine,
vol. 166, no 8, avril 2017, p. 547-556
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