Lors d’une infection chronique ou d’un cancer, un épuisement des lymphocytes T finit par se produire, avec une perte fonctionnelle pour ces cellules clés du système immunitaire. Deux études parues dans « Nature Immunology » apportent des éléments nouveaux dans la compréhension de ce phénomène. Elles suggèrent notamment qu’une intervention thérapeutique précoce permet de préserver la fonction de ces cellules T.
Ces travaux sont le fruit d’une collaboration entre les chercheurs de l’Institut de Recherche Saint-Louis (Inserm U976)/Université de Paris) et des équipes de l’université de Harvard (États-Unis).
« Du fait d’une stimulation chronique par les cellules infectées ou tumorales, les lymphocytes T s’épuisent et ne sont plus capables de jouer leur rôle protecteur, explique au « Quotidien » Pierre Tonnerre de l’Institut de Recherche Saint-Louis. Ce phénomène est bien documenté depuis une vingtaine d’années ».
Une cicatrice épigénétique
Dans ce nouveau travail, les chercheurs ont voulu étudier ce qu’il se passe lorsque cette stimulation chronique s’arrête. « Est-ce que les lymphocytes T vont se différencier en cellules mémoires fonctionnelles, capables de protéger contre une éventuelle réinfection ou rechute ? », interroge le chercheur.
Pour répondre à cette question, une première étude (1) a été menée sur 20 patients atteints d’hépatite C chronique, cette infection étant la seule infection virale chronique pouvant être guérie par un traitement. Les chercheurs ont ainsi pu étudier la fonction des lymphocytes T épuisés avant et après la mise en place du traitement anti-
viral chez ces patients infectés depuis plusieurs années.
Après traitement et en l’absence de stimulation chronique, les lymphocytes T semblent effectivement se différencier en cellules T mémoires. Mais en regardant d’un peu plus près, les chercheurs se sont aperçus que la différenciation n’était qu’apparente : « les paramètres clés qui déterminent l’efficacité des cellules T, comme leur capacité à sécréter des cytokines et leur activité cytotoxique, étaient en fait restés inchangés, fonctionnellement épuisés », détaille Pierre Tonnerre.
Dans la deuxième étude (2), les chercheurs se sont intéressés aux modifications épigénétiques. « Au niveau moléculaire, nous avons observé un défaut d’expression et de régulation des gènes. Et ces altérations moléculaires empêchent les cellules T de devenir fonctionnelles et de se différencier en cellules mémoires, explicite le chercheur. Ces altérations sont comme des cicatrices de l’état d’épuisement des cellules T, comme si la stimulation chronique avait laissé une empreinte physique au niveau des gènes ».
Revitaliser les lymphocytes T
Autre point mis en évidence : plus la stimulation chronique dure dans le temps, plus ces altérations génétiques sont profondes. « Ceci suggère que si l’on traite très tôt les patients, on peut éviter cette cicatrice épigénétique, et ainsi préserver la fonction des cellules T et donc réduire le risque de rechute ou de réinfection, résume le chercheur. C’est tout l’enjeu de notre travail ».
Pour vérifier cette hypothèse, l’équipe de Harvard mène actuellement une étude pour voir si le fait de traiter très tôt les patients, au cours de la phase aiguë d’une infection au virus de l’hépatite C, permet la formation de lymphocytes T mémoires fonctionnels.
Au-delà de ces travaux, la revitalisation des lymphocytes T altérés demeure un enjeu thérapeutique majeur. Les nouveaux traitements par immunothérapie ont révolutionné la prise en charge des cancers en permettant de « booster » les lymphocytes T épuisés. Cependant, ces traitements ne sont pas efficaces chez tous les patients et leurs effets ne sont pas toujours durables.
Les chercheurs de l’Institut de Recherche Saint-Louis étudient ainsi différents protocoles de revitalisation ex vivo des lymphocytes T. Dans ces protocoles, les cellules du patient sont stimulées à l’extérieur du patient à l’aide de cellules dendritiques, dans un incubateur, avec pour objectif de les retransférer chez le patient une fois la revitalisation accomplie. Les chercheurs s’attellent aussi à identifier de nouveaux leviers moléculaires qui pourraient contribuer à réactiver les lymphocytes T altérés.
« Nous cherchons à augmenter le nombre d’approches thérapeutiques pour éventuellement les combiner et espérer améliorer l’efficacité des traitements et réduire les résistances, en développant des approches personnalisées », souligne le chercheur.
(1) P. Tonnerre et al., Nat Immunol, 2021. doi: 10.1038/s41590-021-00982-6
(2) K. B. Yates et al., Nat Immunol, 2021. doi: 10.1038/s41590-021-00979-1
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