Shigella dysenteriae, l'agent pathogène de la dysenterie endémique aujourd'hui en Afrique et en Asie est certainement d’origine européenne. Une maladie responsable de centaines de milliers de décès par an, dont essentiellement des enfants de moins de 5 ans. C'est, entre autres révélations, ce que met au jour une étude d'envergure internationale menée par l'Institut Pasteur pour retracer l’histoire du bacille de la dysenterie épidémique, l’un des pires fléaux qu’ait connu l’humanité aux cours des XVIIIe et XIXe siècles. Cette vaste enquête, publiée dans « Nature Microbiology » et mettant à contribution le Wellcome Trust Sanger Institute (Cambridge, Royaume-Uni) et de nombreuses institutions internationales, établit pour la première fois les liens entre les différents foyers épidémiques au cours du temps.
La bactérie isolée pour la première fois au Japon
L’agent de la dysenterie épidémique, Shigella dysenteriae de type 1, a été isolé au Japon en 1897 par le Dr Kyoshi Shiga au cours d’une vaste épidémie de diarrhée sanglante ayant provoqué 20 000 morts en l’espace de six mois. Mais les chercheurs estiment qu'il pourrait être responsable des violentes épidémies de diarrhées sanglantes décrites dès 1740 en Europe de l’Ouest et du Nord.
Des souches avaient été isolées aux quatre coins du monde, sans qu’il ne soit possible de comprendre leur origine et les liens qui les unissent. Pour répondre à cette question, les équipes de François-Xavier Weill (unité des « Bactéries pathogènes entériques », Institut Pasteur et Nicholas Thomson (Bacterial Genomics and Evolution, Wellcome Trust Sanger Institute) ont procédé au séquençage du génome de 330 souches de S. dysenteriae type 1 isolées de 1915 à 2011 et collectées par 35 instituts internationaux dans 66 pays. En identifiant ainsi différentes lignées génétiques, les chercheurs ont retracé le périple de la bactérie au cours du temps.
Portée par l'émigration et la colonisation
En l’espace de moins de 20 ans, entre 1889 et 1903, S. dysenteriae, partant d’Europe, s’est d’abord implantée en Amérique via l'émigration, et en Afrique et en Asie par le biais de la colonisation. La bactérie est une nouvelle fois identifiée en Europe pendant la Première Guerre mondiale, en particulier lors de l’expédition des Dardanelles (1915-1916), où elle contribue grandement à la défaite de la France et de ses alliées. On la retrouve en Europe centrale, lors de la Seconde Guerre mondiale, avant de la voir disparaître du continent. En revanche, elle continue son expansion en Asie, en Afrique et en Amérique centrale sous forme de flambées épidémiques violentes. Le foyer du sous-continent Indien (Inde et Bengladesh) deviendra par la suite le plus actif tout au long du XXe siècle et sera la source de plusieurs vagues épidémiques vers l’Afrique et l’Asie du Sud-Est.
99 % des souches sont devenues résistantes aux antibiotiques
L’étude de la collection a également permis de dater précisément les premières résistances aux antibiotiques en Asie et en Amérique. En l’espace de 25 ans (1965-1990), 99 % des souches sont devenues résistantes aux antibiotiques. Le bacille circulant dans les mêmes zones que ces gènes de résistance, les chercheurs estiment que l’apparition de bactéries résistantes aux dernières classes d’antibiotiques est aujourd’hui inéluctable.
Une plus grande rareté de l’infection est toutefois observée depuis 2010, y compris en Asie du Sud et en Afrique. Mais si la bactérie n’est plus désormais isolée lors de vagues épidémiques, elle est toujours retrouvée lors d’enquêtes de terrain comme celle réalisée par Médecins sans Frontières au Niger en 2011 chez des enfants diarrhéiques. Pour le Dr François-Xavier Weill, le bacille circule donc encore à bas bruit et pourrait être de nouveau responsable d’épidémies s’il devait rencontrer des circonstances propices, comme un rassemblement important de personnes sans accès à l’eau potable ni traitement des déchets humains. La nécessité d’un vaccin efficace s’impose selon lui pour disposer d'un moyen de contrôle plus sûr que l’utilisation des antibiotiques.
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