« Une signature IRM unique, on n'avait jamais vu ça avant », le constat du Pr Gilles Edan, chef du pôle Neurosciences du CHU de Rennes est sans appel : les données radiologiques de 4 volontaires de l'essai clinique de Rennes sur le BIA 10-2474 sont univoques et ne peuvent être rapprochées à aucune signature observée jusqu'à présent dans aucune pathologie connue, ni à aucune réaction à une molécule décrite dans la littérature. L'essai randomisé du BIA 10-2474, un inhibiteur expérimental du système enzymatique FAAH (fatty acid amide hydrolase) développé par le laboratoire Bial, avait conduit au décès d'un patient et à l'hospitalisation de cinq autres.
Dans un article publié ce mercredi dans le « New England Journal of Medicine », l'équipe du Pr Edan décrit les investigations menées à partir des examens de 4 des 6 patients de l'essai qui ont accepté que l'on exploite leurs données radiologiques et cliniques.
Des lésions singulières, symétriques et étendues
Un syndrome neurologique s'était rapidement déclaré chez ces patients, caractérisé par des maux de tête, un syndrome cérébelleux et des troubles de la mémoire. Les examens IRM ont montré l'existence de micro-hémorragies, avec des hyper-intensités de la substance blanche observées lors de séquences d'inversion atténuation (FLAIR) et sur des images pondérées en diffusion. Ces lésions sont symétriques et localisées dans plusieurs zones, principalement dans le pont et l'hippocampe, et sont bien plus étendues sur les clichés du patient décédé chez qui le thalamus et le cortex étaient également affectés.
Lors de l'admission du premier patient aux urgences, le tableau clinique (syndrome cérébelleux caractérisé par une ataxie modérée des membres, troubles de la parole, mouvements involontaires des yeux) a conduit les médecins à suspecter un AVC. « Il a donc été mis sous aspirine, décrit le Pr Edan. Mais comme son état empirait, on a cru à une piste infectieuse. Des antibiotiques et des antiviraux (aciclovir, céfotaxime et amoxicilline, NDLR) lui ont donc été administrés ».
Ce patient est décédé, 9 jours après son admission aux urgences, après une période de coma. « On a alors compris que l'on avait affaire à un processus inflammatoire, raconte le Pr Edan. C'est pourquoi, quand un syndrome neurologique s'est déclenché chez 3 autres patients à partir du 5e jour après le début de la prise de la molécule, nous les avons tout de suite mis sous corticoïdes, ce qui a permis à deux d'entre eux de récupérer complètement. Le dernier a gardé des troubles de la mémoire résiduels qui continuent actuellement à décroître : il a pu reprendre son activité professionnelle à temps plein après une période de mi-temps. »
Un mécanisme qui reste inconnu
Les observations de l'équipe de Rennes ne permettent toutefois pas de reconstituer ce qui s'est précisément passé. « Il y a de toute évidence un mécanisme d'action direct causé par l'accumulation de BIA 10-2474, en dehors de l'action déjà connue sur les endocannabinoïdes du système nerveux central, commente le Pr Edan. Mais il est difficile de savoir quel récepteur est impliqué dans cet effet "off target". Notre publication servira de référence aux chercheurs qui observeront cette même signature IRM. »
S'il est impossible de savoir le mécanisme exact à l'origine des troubles observés chez ces patients, la publication du « New England » permet d'éliminer plusieurs hypothèses. Il n'y avait en effet aucun signe de microangiopathie thrombotique et aucune atteinte artérielle récente chez les 4 patients. Par ailleurs, l'infarctus de l'artère cérébelleuse découvert fortuitement chez un des patients, et antérieur d'environ un mois à son entrée dans l'étude, « est sans rapport avec son syndrome cérébelleux », conclut le Pr Edan pour qui les origines immunologiques et génétiques sont également écartées.
L'essai randomisé de Rennes faisait suite à une première expérimentation chez 84 volontaires sains, mais aucun des participants de la première étude n'avait reçu plus de 200 mg de BIA 10-2474, alors que les patients hospitalisés ont été exposés à des doses cumulées allant de 220 mg à plus de 300 mg. Un comité d'experts européen s'emploie actuellement à analyser les clichés IRM des patients de la première cohorte de patients, afin notamment de déterminer s'ils présentent des caractéristiques similaires à celles décrites dans le « New England ».
Lire aussi notre entretien avec le Pr Gilles Edan « Il s'agit donc bien d'un effet "off target" »
La prescription d’antibiotiques en ville se stabilise
Le Parlement adopte une loi sur le repérage des troubles du neurodéveloppement
Chirurgie : les protocoles de lutte contre l’antibiorésistance restent mal appliqués, regrette l’Académie
L’orchestre symphonique des médecins de France donne un concert « émouvant » en hommage aux victimes du cancer du sein