Essai de Rennes : l'ANSM confirme la toxicité « inexpliquée » de la molécule

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Publié le 19/04/2016
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Crédit photo : S. TOUBON

« L’hypothèse à ce jour la plus vraisemblable est celle d’une toxicité propre de la molécule via sa fixation sur d’autres structures cellulaires cérébrales. » C'est en ces termes que statue le rapport définitif du Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) mandaté par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur les causes de l'accident survenu lors de l'essai clinique à Rennes en janvier 2016 et qui a occasionné la mort d'un volontaire.

Le document, rendu public, mardi 19 avril, met particulièrement en cause la faible spécificité de la molécule BIA 10-2414, testée dans le cadre de cet essai pour son enzyme cible : la FAAH (Fatty Acid Amide Hydrolase).

Il incrimine également « l’utilisation de doses répétées bien supérieures à celles entraînant (au moins chez l’homme) une inhibition complète et prolongée de la FAAH, et sa probable accumulation progressive, au niveau cérébral, sans doute liée aux particularités pharmacocinétiques du BIA 10‐2474 ». Ce qui expliquerait pourquoi l’accident de Rennes n’est survenu qu’à partir du cinquième jour d’administration d’une dose de 50 mg et non chez les volontaires ayant reçu une dose deux fois plus forte en administration unique.

Le dossier préclinique ne justifiait pas de réserve

Le rapport insiste cependant sur le fait que le dossier des études animales de la molécule « semble globalement de bonne qualité » et qu'aucun élément dans les données étudiées « ne constituait un signal de nature à contre-indiquer un passage chez l'homme ». Il précise aussi que « les doses utilisées chez l'animal ne justifiaient pas de réserve quant à la validité du dossier préclinique » et que la raison pour laquelle cette toxicité n’a pas été observée chez l’animal malgré l’administration de doses très élevées « reste, à ce jour, inexpliquée ».

Selon le CSST, l’apparition brutale de la symptomatologie toxique pourrait être en rapport avec le caractère relevé a posteriori « peu maniable » de la molécule BIA 10‐2474 caractérisée par une relative faible efficacité, une faible spécificité et une courbe concentration‐effet particulièrement raide.

Une accélération de l'escalade de doses jugée « incompréhensible »

Dans ces conditions, l’accélération jugée « peu compréhensible » de l’escalade des doses entre les cohortes MAD 20 et 50 mg a vraisemblablement joué un rôle important dans le déclenchement de l’accident, estime le Comité. « Une telle augmentation des doses était d’autant plus risquée que, du fait de la chronologie d’enchaînements des cohortes et des délais nécessaires aux analyses. Une telle séquence interdisait pratiquement d’adapter la dose à administrer à la vue d’une non‐proportionnalité naissante », est-il spécifié. Et de préciser que ceci aurait été encore plus problématique pour la dernière dose prévue initialement, soit 100 mg puisque l’éventuel ajustement de sécurité se serait fondé sur les données de la cohorte 20 mg.

Le CSST ajoutant sur ce point qu'il n’entrait pas dans ses prérogatives de se prononcer sur le bien‐fondé de l’autorisation de l’essai par l’ANSM après avis du Comité de protection des personnes de Brest. Et de conclure que « sur le plan scientifique, le BIA 10‐2474 ne pouvait pas, a priori, être considéré comme un produit à risque selon les critères listés dans les recommandations en vigueur ».

Six recommandations à porter devant les instances européennes


Le CSST considère en conclusion que « la gravité de l’accident survenu à Rennes justifie que la réglementation et les bonnes pratiques internationales concernant les études de première administration à l’homme évoluent sur plusieurs points », ajoutant que « répondre aux exigences réglementaires ne doit faire oublier ni les bases de la pharmacologie et de la clinique, ni la finalité thérapeutique du développement d’un médicament »

Le CSST formule donc ainsi six recommandations qu’il souhaite voir porter devant les instances réglementaires européennes et internationales ainsi qu’auprès des associations et organismes concernés.

 

 


6 recommandations à visée européenne et internationale

Le Comité scientifique spécialisé temporaire de l’ANSM émet au terme de son rapport, 6 recommandations, à destination des associations et organismes concernés, pour la conduite d’essai de première administration de médicament à l’homme. À savoir…

1) Un médicament est développé avec l’objectif final d’une utilité aux plan thérapeutique et de santé publique. De ce fait, la justification et la démonstration d’une activité pharmacologique prédictive d’une efficacité chez l’homme ne peuvent être considérées comme secondaires.

2) Pour les médicaments à tropisme « système nerveux central », le bilan pratiqué pour la sélection, l’inclusion et le suivi clinique des volontaires dans une étude de phase 1 devrait impérativement comprendre une évaluation neuropsychologique avec entretien clinique et tests cognitifs.

3) Tout protocole de première administration à l’homme et de phase 1 devrait, sauf si cela était sans objet, prévoir que les doses à évaluer chez les volontaires puissent être réajustées en fonction des données recueillies chez des volontaires ayant déjà été exposés au cours de l’essai.

4) Lors des essais de première administration à l’homme et de phase1, la recherche d’une sécurité maximale pour les volontaires devrait s’imposer avant toute considération d’ordre pratique, économique ou réglementaire.

5) Les stratégies d’escalade de doses en première administration à l’homme et phase 1 devraient faire intervenir des considérations fondées sur le bon sens clinique et pharmacologique. Alors que dans le texte actuel de l’Agence européenne, on lit simplement à ce sujet : « Dose increase should proceed with caution taking into account identified risk factors from non‐clinical studies – le CSST recommande que les progressions de type géométrique soient, dans la mesure du possible, évitées ou, du moins, que leur raison soit réduite en fin de progression. »

6) Le CSST souhaiterait que nonobstant les nécessaires considérations pour la propriété industrielle, un débat, au niveau européen et international, s’ouvre au sujet de l’accès aux données des essais de première administration à l’homme et de phase 1, en cours ou ayant été antérieurement menés.

 

 

Betty Mamane

Source : lequotidiendumedecin.fr