XIe journée du livre de l’Académie de médecine

Le peintre, l’hématologue et le sang du Christ

Publié le 12/09/2013
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Crédit photo : DR

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« LA REPRÉSENTATION du sang dans l’œuvre de Fra Angelico est totalement dépourvue de caractère scientifique, elle ignore superbement la notion même de circulation », constate l’hématologue Jacques-Louis Binet, auquel on doit la classification des leucémies lymphoïdes chroniques ; mais l’ancien secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine, qui est également membre correspondant de l’Académie des Beaux-Arts et enseigna la peinture contemporaine à l’École du Louvre, principal intervenant de cette onzième édition du livre à l’Académie de médecine, n’en est pas moins « soufflé » : depuis le XVIe siècle, on avait toujours considéré que les points rouges qui constellaient une des crucifixions du couvent dominicain San Marco de Florence étaient des taches sales. D’ailleurs, certaines reproductions les escamotaient carrément, pour les nettoyer. Quant à ces points rouges qui constellent le jardin de cette autre fresque « Noli me tangere », les catalogues précisaient qu’ils figuraient des coquelicots. Or, c’est un philosophe et historien de l’art français, professeur à l’École des hautes études en sciences sociales, Georges Didi-Huberman, qui a montré que ces soi-disant taches et ces supposés coquelicots, avec leur rouge profond réparti à travers l’ensemble des fresques, n’étaient pas plus des pollutions du temps que des images florales, mais, en fait, la représentation symbolique du sang du Christ, omniprésent sur ces oeuvres. « Ce sang, commente le Pr Binet, le peintre de la Renaissance l’a jeté sur des fonds monochromes avec une violence qui fait penser à l’expressionnisme abstrait, au XXe siècle, d’un Jackson Pollock. Il représente l’inreprésentable, le sang divin, il trouve et montre Dieu ailleurs et autrement qu’en le figurant. »

« Scientifiquement pertinent, esthétiquement fascinant ».

Mais cette journée du livre montrera que les beaux-arts et la médecine peuvent aussi se rencontrer. Ce sera le sujet d’une autre conférence, consacrée à l’étonnant élève de Claude Bernard que fut Étienne-Jules Marey, professeur au Collège de France mort en 1904. Ce pionnier de la physiologie avait mis au point le sphymographe qui lui permit d’enregistrer les battements artériels sur du papier noirci à la fumée ; utilisant la photo comme un outil de recherche, il montra qu’avec un simple obturateur, on pouvait voir apparaître le mouvement et grâce aux artifices photographiques, il a fait évoluer un chorégraphe de l’opéra dans son labo pour, en quelque sorte, disséquer la danse par ses clichés. « Scientifiquement pertinent, c’est esthétiquement fascinant », commente le Pr Binet. En clôture de la journée, à l’exemple de ces travaux médico-chorégraphiques, on verra se produire dans l’hémicycle de l’Académie, un petit rat de l’Opéra, pour un impromptu de la rue Bonaparte.

Auparavant, le Dr Claudine Bouchara, psychiatre attachée à la Pitié-Salpétrière, s’interrogera sur les travaux de Charcot ; se demandant jusqu’à quel point l’hystérie fut l’invention du père de la neurologie moderne, elle évoquera d’étranges corrélations entre sa recherche anatomo-clinique et les prestations avec des personnes hospitalisées que Charcot faisait se produire en public dans son amphithéâtre comme des actrices sur scène. Chef du service psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent au même groupe, le Pr David Cohen, qui mène parallèlement à sa carrière de PU-PH une œuvre de peintre abstrait et expose régulièrement en France et à l’étranger, apportera sa contribution originale aux lacis de la médecine et de la création artistique.

Académie de médecine, 16, rue Bonaparte, 75006 Paris, de 10 heures à 17 heures, entrée libre. Il est conseillé de s’inscrire (nicole.priollaud@wanadoo.fr)

 CHRISTIAN DELAHAYE

Source : Le Quotidien du Médecin: 9262