Observe-t-on des variations significatives entre les territoires, ainsi que des facteurs associés, dans l'apparition des psychoses en France ? La prévalence des psychoses non-affectives (principalement des schizophrénies) obéit-elle à une logique spatiale et s'explique-t-elle par des variables telles que la situation socio-économique, la densité de migrant, ou encore la fragmentation sociale ?
Telles sont les interrogations qui ont présidé à la réalisation de deux études de l'équipe 15 de l'INSERM (U955), membre de la fondation FondaMental, dans le Val-de-Marne. Leur publication est en soi un événement, soulignent les auteurs, alors que peu d'études internationales, et encore moins françaises, se sont penchées sur l'incidence et la prévalence des psychoses, dans une perspective environnementale, à une échelle si fine.
Prégnance de la précarité sociale
La prévalence des cas de troubles psychotiques non affectifs (principalement la schizophrénie et les troubles apparentés) a été étudiée à Créteil et Maisons-Alfort ; 358 cas (majoritairement pris en charge par des psychiatres dans le secteur public) ont été inclus. Trois variables ont été prises en compte : la densité de migrants, la fragmentation sociale et la précarité économique. Différents modèles statistiques ont été testés, l'analyse bayésienne se révélant la plus pertinente. Les résultats montrent que les quartiers les plus pauvres concentrent davantage de cas de troubles psychotiques non affectifs. « Les quartiers géographiquement voisins sont aussi proches en termes d'incidence », explique au « Quotidien » le Dr Andrei Szoke (Henri-Mondor, INSERM). La corrélation avec la densité de migrants et la fragmentation sociale n'est pas significative. En revanche, les auteurs relèvent une (légère) augmentation du nombre de cas de 13 % en lien avec la précarité économique. « Il s'agit de prévalence ; on ne peut donc pas parler de facteurs de risques. Mais cela plaide en faveur de l'hypothèse selon laquelle la maladie et son avancée précipitent les patients dans des quartiers défavorisés », commente le Dr Szoke.
La seconde étude, sur l'incidence, s'intéresse à tous les nouveaux cas de troubles psychotiques (affectifs et non-affectifs) recensés entre juin 2010 et mai 2014, sur trois secteurs psychiatriques du Val-de-Marne, dont Créteil et Maisons-Alfort. Elle teste aussi le potentiel explicatif des variables économiques, sociales, et migratoires. Les résultats contrastent avec ceux de la première étude. « On a l'impression que les cas de troubles non affectifs (dont les schizophrénies) ne sont pas associés à des facteurs de risques particuliers », résume le Dr Szoke. En revanche, les troubles psychotiques affectifs (par exemple, dépression psychotique ou troubles bipolaires) semblent moins livrés au hasard : « leur incidence est corrélée inversement avec la proportion de migrants/d'étrangers », lit-on. Le risque de développer des troubles psychotiques affectifs serait plus faible de 17 % dans les quartiers où vivent des migrants. La précarité économique comme la fragmentation sociale ne jouent aucun rôle significatif. « Nous ne nous attendions pas à ce résultat », reconnaît le Dr Szoke, en soulignant l'importance d'approfondir ces études épidémiologiques.
Des travaux susceptibles d'éclairer les politiques de santé : « L'analyse de l'incidence peut inspirer des politiques de prévention, tandis qu'un regard sur la prévalence invite à réorienter les ressources de santé (services, centres médico-psychologiques, etc.) vers les zones urbaines les plus défavorisées », conclut le psychiatre.
*Spatial distribution of psychotic disorders in an urban area of France: an ecological study. Scientific Reports, 18 mai 2016. Pignon B, Schürhoff F, Baudin G, Ferchiou A, Richard J-R, Saba G, Leboyer M, Kirkbride J, Szoke A. et Small area-level variation in the incidence of psychotic disorders in an urban area in France: an ecological study. Social Psychiatry and Psychiatric Epidemiology, 17 mai 2016, Szoke A, Pignon B, Baudin G, Tortelli A, Richard J-R, Leboyer M, Schürhoff F.
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