LE QUOTIDIEN - Que s’est-il passé à Massy
?
BRUNO COIGNARD - Les services de réanimation et de cardiologie de l’établissement ont détecté début juin, lors de l’admission d’une patiente qui revenait de Grèce, le portage d’une bactérie multirésistante qui s’est révélée être une Klebsiella pneumoniae résistante aux carbapénèmes. Elle fait partie de la famille des entérobactéries productrices de carbapénèmases dont on suit l’émergence depuis l’année dernière. L’établissement a appliqué à la lettre les recommandations nationales, qui sont notamment de dépister les patients rapatriés dès l’admission. Mais la reconnaissance de la résistance aux carbapénèmes a été un peu retardée pour des problèmes de diagnostic au laboratoire. Ceci explique pourquoi la patiente n’a pas été mise en isolement immédiatement. Il y a donc eu une transmission croisée à d’autres patients. Les 13 patients concernés, qui ont été détectés à l’occasion de dépistages systématiques, étaient porteurs mais non infectés : ils ne présentaient aucun symptôme d’infection. Parmi eux, cinq sont décédés mais pour une raison autre. Cet épisode a fait l’objet d’un suivi très étroit à la fois de l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France avec un soutien du Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales Paris-Nord (CCLIN) et de l’InVS.
Il y a également eu le décès d’un nourrisson...
Effectivement, Massy n’a pas eu de chance car, au même moment, dans un service différent, en chirurgie pédiatrique, il y a eu quelques cas d’infection par une souche de klebsielle mais qui était seulement résistante aux céphalosporines de troisième génération. Cette souche produisait une bêtalactamase à spectre étendu et était sensible aux carbapénèmes. Elle est donc effectivement de la même espèce mais a des caractéristiques de résistance différentes, qui nous ont fait conclure à l’existence de deux petites épidémies concomitantes à souches différentes. Par ordre de fréquence, les klebsielles de ce type sont le 7e micro-organisme responsable d’infections nosocomiales en France, selon les résultats des données de l’enquête de prévalence 2006. C’est une bactérie bien connue des réanimateurs.
Où en est-on aujourd’hui
?
Le premier épisode est en passe d’être contrôlé : il y a encore quelques dépistages à faire puisque des courriers ont été transmis. Il est possible qu’il y ait encore un ou deux cas supplémentaires. Il faut également gérer l’épisode en pédiatrie. Le CCLIN et l’ARS trouveront sans doute quelques cas de colonisation en recreusant les dossiers. Mais la souche de pédiatrie est beaucoup plus commune et surtout reste accessible à des traitements antibiotiques par carbapénème. Malheureusement, dans ce type de services, chirurgie, réanimation, cardiologie, il y a régulièrement des petites flambées de diffusion de bactéries multirésistantes. L’épisode de Massy est un épisode parmi ceux que l’on a pu suivre : tous les trimestres, on met en ligne sur notre site un bilan sur ces entérobactéries productrices de carbapénèmases (EPC).
Que peut-on dire, de manière générale, sur ces entérobactéries productrices de carbapénèmases
?
Autant nous sommes contents des progrès réalisés dans la maîtrise des infections à staphylocoques dorés résistants à la méthicilline (SARM) – puisque depuis 6 ou 7 ans, la fréquence de ces infections à SARM diminue –, autant nous sommes assez préoccupés par le fait que, pour les entérobactéries productrices de bêtalactamases à spectre étendu (EBLSE), la tendance est chaque année à la hausse. Les données du réseau de surveillance des bactéries multirésistantes, qui fonctionne depuis les années 2000, le BMR-Raisin, montre très bien cette évolution croisée. On observe cela sans vraiment encore comprendre pourquoi on est efficace sur les SARM et pas sur les EBLSE : c’est sans doute multifactoriel et lié au fait que les réservoirs sont beaucoup plus vastes pour les entérobactéries. Par ailleurs, les EBLSE sont aussi observées en ville, même si on connaît mal leur fréquence. Plusieurs études sont en cours pour pouvoir mieux estimer ce phénomène. En France, les SARM sont limités aux hôpitaux.
DES BACTÉRIES ENCORE RARES, À DÉTECTER PRÉCOCEMENT
Quel message faut-il retenir
?
Le bon usage des antibiotiques. Il est évident que l’augmentation des EBLSE est liée en partie à des phénomènes de pression de sélection antibiotique (il y a aussi sans doute des mesures à prendre sur l’usage des antibiotiques dans la filiale vétérinaire). Notre grande préoccupation actuelle, concernant l’émergence des EPC, même si ce sont des bactéries qui sont encore rares, c’est de les détecter précocement, pour mettre en place des mesures d’hygiène visant à limiter la transmission croisée à l’hôpital. Nous devons également avoir une action de fond sur les antibiotiques, notamment pour réserver l’usage des carbapénèmes à leurs bonnes indications et lutter contre l’augmentation constante de l’incidence des EBLSE. Pour éviter le cercle vicieux.
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