L'organisation de ce premier forum de l'Afrique de l'Ouest au Sénégal, couronnée par la signature de la convention tripartite entre l'Académie nationale de médecine, la Fondation de l'Académie, et l'Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal (ANSTS), marque une volonté de redonner souffle à la coopération bilatérale, qui depuis les années 2000, est à la peine. Mais c'est une collaboration nord-sud rénovée qui se dessine, avec un sud élargi à l'ensemble de la région, des partenariats sud-sud foisonnants, et la diffusion d'une stratégie gagnante-gagnante, l'influence américaine nuançant l'héritage de la médecine humaniste à la française.
Recherche : de l'assistance aux partenariats
La recherche est un bon révélateur du chemin parcouru vers cette nouvelle coopération. Du temps des colonies, les interventions sanitaires du nord au sud visaient surtout à « maintenir la force de travail », rappelle le Dr Laurent Vidal, chercheur en sciences sociales et représentant de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) en Afrique.
Aujourd'hui, dans une nouvelle donne marquée par un feuilletage des approches, une pluralité des acteurs et des financeurs, et malgré la persistance d'une fracture nord-Sud du savoir*, des partenariats « équitables » fleurissent. L'IRD tisse des programmes interdisciplinaires avec des auteurs africains, adaptés aux enjeux des suds. En sont issus, par exemple, le Plumpy'nut, pâte d'arachides pour lutter contre la malnutrition, les moustiquaires imprégnées d'insecticide, ou encore, sur le plan institutionnel, la création du LAPSE**, co-dirigé par le Pr Ibrahima Ndoye (Université Cheikh anta Diop -UCAD) et le Dr Laurent Laplaze (IRD), qui conduit des recherches en médecine, biologie, et agro-écologie à l'échelle de la sous région.
Avec à son actif près de 700 articles publiés, plus de 62 thèses, et l'organisation de 40 colloques, l'Unité mixte internationale (UMI) créée en 2009 présente un autre modèle d'une recherche interdisciplinaire associant les universités du Sénégal (17 chercheurs), le CNRS Français (6), mais aussi le Mali (13) et le Burkina Fasso (14). « Le CNRS nous a donné l'opportunité de conduire des partenariats sud-sud ; Cette tutelle nous permet également de postuler à des appels à projets européens », assure le Pr Lamine Gueye, directeur de l'UMI.
Les maladies infectieuses, un défi toujours d'actualité
La lutte contre les maladies infectieuses a été menée de front par le nord et le sud. Mais de grands défis demeurent, alors que les bailleurs de fonds s'essouflent, ont alerté les spécialistes, appelant, au-delà de la poursuite des collaborations, à un sursaut des gouvernements africains.
Le paludisme reste un fardeau, avec 212 millions de cas en 2015, et 429 000 décès, dont la majorité en Afrique. Sans compter le nombre d'avortement. En 2015, l'OMS a fixé l'objectif d'un monde sans palu d'ici 2030, avec la diminution de 90 % de l'incidence d'ici là. Pour l'heure, si Sénégal et Mauritanie sont en situation de contrôle et le Cap Vert en préélimination, le reste de l'Afrique de l'Ouest peine à passer sous les 5 % d'incidence.
Pour le Pr Ogobara Doumbo, spécialiste malien du palu, on reste loin du but, malgré la perspective de nouveaux vaccins. Les moustiques développent des résistances aux traitements disponibles et aux moustiquaires et insecticides. De multiples types de plasmodium (autres que le falciparum) se développent. Et d'appeler à développer les diagnostics moléculaires pour repérer les formes sub-microscopiques, les chimiothérapies saisonnières, la surveillance épidémiologique notamment des fièvres... autant d'actions où les coopérations bilatérales peuvent être riches d'enseignements, comme l'a montré le Pr Martin Danis, de la Pitié-Salpétrière, plusieurs études sur les cas d'importation, issues des données du centre national de référence Paludisme, à l'appui.
Dans le VIH/SIDA, alors que l'OMS prone les « 3 x 90 » d'ici 2030 (90 % d'individus connaissant leur statut sérologique, dont 90 % sous traitement, dont 90 % avec une charge virale indétectable), c'est une véritable dégringolade que décrit au Sénégal le Pr Cheikh Tidiane Ndour, infectiologue et chef de la division de lutte contre le sida. Sur 45 000 personnes vivants avec le sida, seulement 37 % sont dépistés et 49 % d'entre eux sont traités. Quant au pourcentage de personnes avec une charge virale indétectable, difficile de l'estimer eu égard à la disponibilité des outils diagnostics. « On a trop médicalisé le sida et attendu que les gens viennent à l'hôpital. Il faut décentraliser le dépistage dans la communauté, penser à l'autodépistage, surtout auprès des populations à risques, aller vers les cas asymptomatiques », encourage le Pr Ndour. Autre défi : la mise en place d'une approche intégrée VIH/SIDA et tuberculose, étant donné que le risque pour une personne séropositive d'avoir la tuberculose est majoré par 26, a rappelé le Pr François Bricaire. Depuis 2007, le Sénégal s'est doté d'une instance de coordination sur les deux sujets ; le Fond mondial est présent sur les deux fronts. « Mais il faut que nos états soient plus souverains, y compris pour la négociations des marchés des traitements », s'est ému le Dr Safiatou Thiam, ancienne ministre de la Santé.
C'est un appel semblable qu'a lancé le Pr Aminata Sall Diallo dans le domaine des hépatites. Alors que l'efficacité d'un vaccin a été montré dès 1982 chez les nourrissons, dans le cadre d'une coopération Tours-Dakar, aujourd'hui, 85 % de la population sénégalaise a été en contact avec le VHB ; 11 % sont des porteurs chroniques, contre 17 % en 1999. « Nous avons perdu 15 ans : le contre-coût de la gouvernance mondiale, l'hépatite B n'ayant été érigée au rang de priorité de l'OMS qu'en 2014 », dénonce le Pr Sall Diallo.
« Nous devons nous attaquer de front aux maladies transmissibles et non transmissibles. Grâce à notre passé commun avec la France, nous pouvons partager nos expériences en matière de pratique et de formation médicales. Mais ce sont à nos États de prendre la relève. Sans oublier que le secteur seul de la santé ne peut règler tous les problèmes, et que les communautés doivent être impliquées », a conclu le Pr Doudou Ba, président de l'Académie nationale des sciences et techniques du Sénégal (ANSTS).
*Les chercheurs ne sont que 29 au Mali, 361 au Sénégal (3 800 en France).
** laboratoire mixte international des plantes et micro-organismes associés au stress environnementaux (LAPSE) de microbiologie IRD/ ISRA/ UCAD
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