Avec près d'un nouveau diagnostic sur trois les concernant, les personnes nées en Afrique subsaharienne constituent le deuxième groupe le plus touché par l'épidémie de VIH-SIDA.
Derrière les chiffres, les chemins de vie sont pluriels. Mme I, née à Bamako, sera infectée en France, après plusieurs années de mariage et deux enfants, par son mari qui avait tu son statut sérologique. Autre est l'histoire de M. C, Camerounais, vendeur d'objets d'art africain, qui, pris d'une forte fièvre, découvre son infection lors d'un voyage professionnel à Paris et attend chez des amis un titre de séjour pour soins. C'est cette pluralité que raconte « Parcours », une enquête de 18 mois (février 2012-mai 2013) auprès de 2 500 migrants d'Afrique Sub Saharienne d'Ile-de-France, impulsée par l'Agence nationale de la recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), l'Institut de recherche pour le développement (IRD), l'INSERM et Santé publique France, dont les enseignements font l'objet d'un ouvrage publié aux Éditions La découverte*.
Premier enseignement, le sida n'est plus seulement une épidémie d'importation : les contaminations après l'arrivée semblent représenter près de la moitié (entre 35 et 49 %) des cas de VIH chez les migrants d'Afrique Sub-saharienne. Parmi les hommes séropositifs, 44 % auraient contracté le virus dans l'hexagone ; ce serait le lot de 30 % des femmes séropos ; et 39 % de ces personnes infectées l'ont été plus de six ans après leur arrivée.
Pour comprendre une telle situation, les chercheurs invitent à regarder du côté des conditions de vie. « La première chose dont les immigrés ont besoin pour prendre soin d'eux-mêmes et se protéger, c'est de pouvoir y penser. Cela n'est possible qu'une fois libérés de l'extrême insécurité, de l'angoisse liée à des démarches administratives lourdes du souci d'avoir un toit pour dormir », lit-on.
Insécurité sociale
Or les migrants - et l'enquête ne parle que de 2012 ! -, connaissent une très longue période d'insécurité, mettant sept ans pour les hommes, six ans pour les femmes, à accéder aux trois ressources cardinales : logement personnel, titre de séjour d'au moins un an, et emploi. Pour un quart d'entre eux, cela prend 11 à 12 ans. En attendant, ils vivent de plein fouet le déclassement, et ce, quel que soit leur niveau d'instruction. « Ce sont des caractéristiques structurelles, difficultés économiques et raidissement des politiques d'accueil, qui expliquent ces situations d'insécurité. Celles-ci ont de lourdes conséquences sur la santé sexuelle, pour les femmes, qui peuvent s'exposer à des risques en échange de quelque chose, voire des violences, et pour les hommes, qui peinent à s'installer dans une relation stable », commente la démographe Annabel Desgrées du Loû (IRD).
Un dispositif médico-social adéquat pour les précaires
Le système de santé est performant mais sous-utilisé, enseigne « Parcours ». Un an après leur arrivée, 75 % des migrants étaient couverts par la couverture maladie universelle (CMU) ou par l'aide médicale d'état (AME). « Le rôle positif de notre protection sociale universaliste », commente Nathalie Lydié, chercheuse à SPF. Mais l'accès à une assurance complémentaire est tardif (1/3 en sont dépourvus un an après, d'où un niveau élevé de renoncement aux soins) ; et les ruptures sont fréquentes.
L'accès au dépistage du VIH dans les deux ans après l'arrivée en France, pour la moitié des migrants africains, lors d'un contact avec le système de santé (hospitalisation, CASO, PASS, grossesse) est rapide « quand on sait que là n'est pas leur priorité », poursuit la chercheuse. Mais ce délai reste une perte de chance pour ceux qui seront positifs, et il est à regretter que les partenaires sont rarement testés. Quant au VHB, dont la prévalence s'élève à 5 à 10 %, le dépistage n'intervient que 4 ans après l'arrivée des hommes migrants, moitié moins pour les femmes. Si l'entrée dans les soins est rapide pour le VIH et le VHB, le suivi reste trop resserré sur le médical pour l'hépatite, lit-on.
Développer une prévention ciblée
« Il faut informer les nouveaux arrivants des ressources sociales et amplifier les politiques de prévention », exhorte le Pr François Dabis, président de l'ANRS. Doit notamment être encouragée la démarche « d'aller vers », car le premier frein au dépistage est l'absence de perception du risque. Or 60 % des nouvelles contaminations sont dues à des personnes qui ignorent leur séropositivité.
Les médecins ont leur carte à jouer. Par peur de stigmatiser, ou parce qu'ils pensent qu'il s'agit d'une épidémie d'importation, ils proposent trop peu de dépistages surtout aux migrants arrivés depuis plusieurs années et sortis de la précarité, et encore moins leur renouvellement, explique Annabel Desgrées du Loû. Pour rappel, la réévaluation en mars 2017 des recommandations de la Haute autorité de santé préconise un dépistage du VIH annuel chez les personnes originaires d'Afrique Sub-Sahariennes.
*« Parcours de vie et santé des Africains immigrés en France », éditions Le Découverte, 25 euros, 360 pages, sous la direction d'Annabel Desgrées du Loû (IRD) et France Lert (IINSERM).
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