L’accès à la greffe rénale est un problème majeur de santé publique. D’après les données de l’agence de la Biomédecine, on comptait au 1er janvier 2015, 11 711 patients inscrits sur la liste d’attente de transplantation rénale avec seulement 3 232 transplantations rénales réalisées en 2014. Pourtant, avec une médiane de survie globale des patients de 5 ans en dialyse d’après le registre REIN (1), la transplantation rénale reste le traitement de suppléance de choix de l’insuffisance rénale terminale en améliorant de manière significative la qualité, la quantité de vie des patients ainsi que le coût pour la société (2,3). Pour pallier la pénurie d’organes, le choix des reins issus de donneurs décédés a été élargi depuis 2002 par l’utilisation de reins marginaux ou à critères élargis définis (greffons ECD pour expanded criteria donors) provenant de donneurs âgés et porteurs de comorbidités cardiovasculaires (4). Depuis cette définition, leur utilisation a évolué inégalement dans le monde avec un grand nombre de reins potentiellement utilisables refusés empêchant un nombre important de patients sur liste d’attente de recevoir un greffon.
Les premières études de cohorte qui se sont intéressées à la survie des greffons et des patients ont montré une survie moindre des greffons ECD par rapport aux greffons standards Standard Criteria Donor (SCD), 59 vs 72 %, mais un gain de survie des patients significatif comparativement aux témoins dialysés (5,6). Malgré leur intérêt, ces études ont pour principale limitation l’absence d’évaluation histologique du donneur (biopsies préimplantatoires) ainsi que la méconnaissance du profil immunologique du receveur (présence d’anticorps anti-HLA dirigés contre le donneur), deux paramètres pourtant majeurs du pronostic de la transplantation. Il n’existe par ailleurs à l’heure actuelle aucun modèle qui intègre l’ensemble des paramètres de la greffe pour modéliser les déterminants pronostiques de celle-ci. Ceci traduit en partie les disparités de pratiques des greffes ECD dans le monde. Ainsi, en 2012 aux États-Unis, seulement 16,6 % des transplantations réalisées à partir de donneurs décédés utilisaient des greffons ECD alors que ce taux s‘élevait à 47,3 % en France. Une meilleure évaluation des déterminants de la survie des patients et des greffons ECD est donc nécessaire afin d’optimiser l’utilisation et la répartition de ces greffons. C’est à un réel enjeu médical, économique et de santé publique (7,8).
Deux facteurs déterminants la survie des greffons
L’article « Long-term outcomes of tranplantation using kidneys from expanded criteria donors : prospective, population based cohort study » publié dans le Bristish Medical Journal en juillet 2015 concerne une étude française, en population, prospective incluant des patients ayant reçu un greffon rénal dans quatre centres de référence français entre le 1er janvier 2004 et le 1er janvier 2011 (9). Une évaluation systématique des donneurs, des récipients, des caractéristiques cliniques de la transplantation, des biopsies préimplantatoires et une évaluation des anticorps anti-HLA dirigés contre le donneur (DSA pour Donor-Specific Antibodies) le jour de la greffe ont été réalisées. La survie des greffons rénaux au long cours ainsi que ses déterminants ont été évalués. Au total, 6 891 patients ont été inclus dans l’étude : 2 763 dans la cohorte principale et 4 128 dans la cohorte de validation. Un total de 916/2 763 (33,2 %) transplantations ont été réalisées utilisant des greffons rénaux issus de donneurs ECD. Les patients recevant un greffon rénal issu d’un donneur ECD avaient une moins bonne survie du greffon à 7 ans par rapport à ceux recevant un rein issu d’un donneur standard (SCD) : 80 vs 88 %, (p < 0,0001). Les patients ayant reçu un greffon issu d’un donneur ECD avec la présence d’un DSA circulant le jour de la greffe avaient une moins bonne survie du greffon à 7 ans comparés à ceux qui ont reçu un rein issu de donneurs ECD et sans DSA circulant au moment de la greffe : 44 vs 85 % (p < 0,0001).
Après ajustement sur les caractéristiques du donneur, du receveur, de la transplantation mais également des données histologiques des biopsies pré-implantatoires et des caractéristiques immunologiques, les principaux déterminants indépendamment associés à la perte au long terme des greffons étaient : l’attribution d’un rein issu de donneur ECD (risque relatif (RR) = 1,84 ; IC 95 %, [1,5-2,3] ; p < 0,0001), la présence d’un DSA circulant le jour de la greffe (RR = 3,00 ; IC 95 %, [2,3-3,9] ; p < 0,0001) et une longue ischémie froide (>12 heures; RR = 1,53 ; IC 95 %, [1,1-2,1] ; p = 0,0114). Les receveurs d’un rein issu de donneur ECD avaient une amélioration de la survie du greffon à 7 ans de 41 % et de 12 % lorsque la greffe était réalisée sans DSA circulant le jour de la transplantation (p < 0,0001) et en cas d’ischémie froide plus courte (<12 heures; p = 0,0299) ; chez ces patients la survie du greffon était comparable à celle de patients recevant un rein issu de donneurs standard.
Ainsi, les anticorps anti-HLA dirigés contre le donneur et l’ischémie froide sont les principaux déterminants indépendamment associés à la survie des greffons ECD et modifiables. Des politiques d’attribution des reins issus de donneurs ECD évitant les DSA et réduisant l’ischémie froide améliorent l’efficacité de la transplantation et pourraient promouvoir une large augmentation des transplantations rénales à partir de donneurs ECD dans un contexte actuel de pénurie d’organes.
Service de transplantation rénale et soins intensifs, hôpital Necker & PARCC HEGP INSERM U 970, équipe 4, Paris Transplant Group
(1) Rapport du registre REIN 2012
(2) Port FK et al. JAMA 1993 ;270(11):1339-43
(3) Evans RW et al. NEJM 1985 ;312(9):553-9
(4) Port FK et al. Transplantation 2002 ;74(9):1281-6
(5) Ojo AO et al. JASN 2001;12(3):589-97
(6) Merion RM et al. JAMA 2005;294(21):2726-33
(7) Cecka JM et al. American Journal of Transplantation 2008;8(4):735-6
(8) Haas M et al. American Journal of Transplantation 2014;14(2):272-83
(9) Aubert O et al. BMJ 2015;351:h3557
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