L'incidence des troubles psychotiques varie de 1 à 8, selon l'âge et l'appartenance à une minorité, mais aussi selon les territoires, rapporte une étude publiée dans « JAMA Psychiatry » et réalisée dans le cadre du programme interaction gène environnement, du réseau européen des réseaux de schizophrénie nationaux (EU GEI).
Les scientifiques interrogeaient la possibilité d'attribuer les différences dans l'incidence des troubles psychotiques à des facteurs sociaux et environnementaux comme l'âge, le sexe, le statut de minorité ethnique, la densité de population, le chômage, et plus largement aux marqueurs d'inégalités sociales.
Mauvaise interprétation de l'étude de 1992
La précédente étude internationale sur le sujet, « World Health Organization Ten Country Study », remontait à 1992 et avait été interprétée, plutôt à tort, comme attestant d'une homogénéité de l'incidence des troubles psychotiques, que ce soit en Inde, au Japon, en Europe, et dans les campagnes d'Amérique du Nord. En réalité, des variations de facteur 2,5 jouaient. « Depuis longtemps, l'idée commune était que la schizophrénie concernait 0,7 % de la population, partout dans le monde. Or avec cette étude, on constate qu'il y a une très grande hétérogénéité des incidences, et qu'il existe des facteurs de variation, plus sociaux que nationaux », explique au « Quotidien » le Pr Jean-Michel Llorca, chef de service de psychiatrie au CHU de Clermont-Ferrand, l'un des collaborateurs français de l'étude. « Il est bien établi que les psychoses telles que la schizophrénie sont souvent héréditaires, mais la génétique n'explique pas tout », commente le Dr James Kirkbride, professeur de psychiatrie à l'University College de Londres.
17 sites, dans 6 pays
L'étude multisites, conduite entre mai 2010 et avril 2015, a inclus 2 774 individus de 18 à 64 ans (1 196 femmes, 1 578 hommes), victimes d'un premier épisode de troubles psychotiques non organiques, n'ayant jamais reçu de soins auparavant, dans 17 territoires, ruraux ou très urbanisés, de six pays : deux au Royaume-Uni (sud de Londres et à Peterborough), trois en France (20e arrondissement de Paris, Val-de-Marne, Puy-de-dome), trois en Italie (Vénétie, Bologne, Palerme), deux au Pays-Bas (Centre d'Amsterdam et Voorhout), six en Espagne (Madrid, Barcelone, Valence, Oviedo, Santiago, Cuenca), un au Brésil (Ribeirao Preto).
L'une des forces de l'étude tient à ce qu'une même méthode de recrutement et de prise en charge des participants a été appliquée dans tous les sites.
Hommes jeunes des minorités et femmes de plus de 45 ans
Sur les 2 774 patients identifiés, 2 183 patients (78,7 %) souffraient de troubles psychotiques non affectifs (type schizophrénies). L'âge moyen était de 30,5 ans.
Des variations de facteur 8 ont été identifiées dans l'incidence de tous les troubles, de 6 pour 100 000 personnes par an à Santiago, en Espagne, jusqu'à 46,1 à Paris en France ou dans le Sud de l'Angleterre.
L'incidence des psychoses était élevée chez les groupes ethniques minoritaires, en particulier chez les hommes de 18 à 24 ans.
Un deuxième pic de troubles psychotiques non affectifs s'observe pour les femmes de plus de 45 ans. « C'est intéressant car cela nous rappelle que des gens plus âgés peuvent commencer des troubles psychotiques, et requestionne la psychose hallucinatoire chronique », commente le Pr Llorca. D'autres facteurs peuvent aussi entrer en compte comme les inégalités de genre dans l'accès aux soins, puisqu'avant 35 ans, seulement 50 % des femmes avec psychoses sont identifiées, contre 68 % des hommes.
L'incidence varie également selon les endroits, avec des taux forts dans les centres urbains et faibles dans les quartiers où vivent davantage de propriétaires, la propriété étant un révélateur d'un statut socioéconomique aisé, et de la stabilité et cohésion sociale. Un constat « qui laisse penser que l'environnement social pourrait modeler des schémas d'incidence » des psychoses, écrivent les auteurs.
L'incidence s'est révélée être la plus faible dans le sud de l'Europe. Un constat difficile à interpréter : « les facteurs peuvent se conjuguer : il y a plus de gens au chômage mais davantage de propriétaires », décrypte le Pr Llorca.
D'autres résultats surprennent les auteurs, comme l'incidence moindre des psychoses affectives dans les quartiers à fort taux de chômage, « contre intuitive ». De même, la densité urbaine n'était pas associée à une incidence plus grande de psychose en Espagne et en Italie, alors que ça l'est en Angleterre et aux Pays-Bas.
Approfondir les interactions gêne et environnement
L'étude conclut donc, contrairement à la précédente analyse de 1992 mais en cohérence avec des travaux plus restreints - à l'hétérogénéité des risques de psychoses, selon les personnes et les territoires. Les chercheurs estiment que ces conclusions peuvent nourrir les réflexions des services de santé mentale, pour adapter l'offre dans les quartiers.
À partir de cette base de données (les patients ont été examinés sur le plan psychiatrique, mais aussi génétique, des proches ont été contactés), d'autres recherches devraient voir le jour, assure le Pr Llorca.
Mais d’ores et déjà, cette étude est un plaidoyer pour que se croisent les recherches en neurosciences, génomiques et socioculture, écrit Ezra Susser, de l'Université Columbia, dans l'édito du « JAMA ».
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