MOHAMMED, 43 ans, avait l’habitude de remplir une grille de loto, tous les samedis au café en compagnie d’amis. Mais il commença à jouer en semaine, exceptionnellement puis quotidiennement. « De fil en aiguille, c’est devenu une envie pressante, qui vous prend à l’intérieur », témoigne-t-il en préambule du livre « du plaisir du jeu, au jeu pathologique ». Il passe jusqu’à 4 heures par jour, à cocher des chiffres, néglige ses enfants et ment à sa femme sur ses comptes jusqu’à leur séparation. Où il se décide à se faire soigner, à reconnaître sa dépendance au jeu.
Comment expliquer ce basculement du plaisir anodin à l’addiction ? Tous les types de jeux sont-ils nuisibles ? Peut-on se soigner ? Les Prs Abdou Belkacem, Michel Reynaud, de l’hôpital Paul Brousse de Villejuif, et le Pr Jean-Luc Venisse, du Centre de référence sur le jeu excessif du CHU de Nantes, donnent les outils pour mieux comprendre ces pathologies, actuellement en cours de classification officielle.
Sans minimiser les risques, les auteurs se veulent d’abord rassurants : ce phénomène ne concerne que 0,5 % à 1 % de la population française, un peu plus si l’on considère les joueurs problématiques (qui représenteraient 2 %). « La prévalence du jeu pathologique en France est moindre qu’à l’étranger », tempère Jean-Luc Venisse. En outre, aussi récente soit-elle, cette forme d’addiction est bien connue : « C’est un modèle intéressant pour travailler sur les dépendances, dont on retrouve les mécanismes globaux comme la dérégulation d’un plaisir, a expliqué Michel Reynaud en conférence de presse. Le jeu pathologique est la rencontre entre individu vulnérable, un produit addictif et un environnement incitatif. »
Toutes les formes de jeu ne sont en effet pas aussi perverses. « Les jeux d’argent ou de hasard sont davantage à risques que ceux de compétition, de rôle ou de sensation », explique le Pr Venisse. Comme les jeux vidéo avec avatars, qui font beaucoup d’émules, ils n’ont pas de limites claires, que ce soit en terme de nombre de participants, de temps, ou de règles. De même, tous les individus ne sont pas aussi vulnérables. Selon les experts, les hommes de 35 à 55 ans sont deux fois plus nombreux que les femmes à tenter la fortune. Ils sont aussi plus enclins à parier ou jouer sur internet que les filles, qui préfèrent les réseaux sociaux et les blogs. « Les adolescents sont particulièrement vulnérables, car c’est un moment difficile et le jeu permet de fuir la réalité ou de réaliser les prouesses dont ils sont privés à l’école. Le tableau est différent pour les adultes qui présentent souvent des troubles psychologiques préexistants », explique Abdou Belkacem.
Pas d’abstinence totale.
« Le jeu est universel, il permet de se distraire, de construire un monde imaginaire, d’augmenter ses capacités intellectuelles et mnésiques et d’instaurer un espace de partage social », rappelle le Pr Reynaud. Aussi, pas question de prôner le dogme de l’abstinence totale, du moins, comme objectif premier d’une thérapie. Car il est en effet possible de maîtriser son addiction. En une cinquantaine de paragraphes, les auteurs présentent les traitements, y compris ceux contre les pathologies annexes, telles la dépression ou l’alcoolisme. La préférence des auteurs va ainsi aux thérapies cognitivo-comportementales ainsi qu’à la guidance parentale, surtout pour les adolescents accros aux jeux vidéos. « Dans une société de consommation illimitée, où l’individu est seul à définir ses limites, les plus vulnérables sont les personnes qui manquent de capacités d’autorégulation : aider les parents à donner des limites est extrêmement efficace », souligne le Pr Venisse. « Ils sont souvent effrayés par ce monde virtuel avec ses codes et ses avatars qu’ils ne connaissent pas, il faut les aider à renouer le dialogue » complète le Pr Belkacem. Dans tous les cas, le recours aux médicaments reste limité à la comorbidité.
Si les solutions existent, les médecins rappellent toutefois qu’il faut une complémentarité entre professionnels de santé, épidémiologistes, sociologues, et pouvoirs publics pour limiter les dérives du jeu...qui rapporte près de 5 milliards d’euros par an. « Suite à l’ouverture du marché des paris sportifs et hippiques en ligne, en 2010, l’État a instauré une autorité de régulation. Mais beaucoup de progrès restent à faire », conclut le Pr Venisse.
Du plaisir du jeu au jeu pathologique, 100 questions pour mieux gérer la maladie : En librairie à partir du 19 mai, éditions maxima, sous l’égide de l’AP-HP. 200 pages, 14,50 euros.
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