LE QUOTIDIEN – À quel défi l’infectiologie est-elle confrontée aujourd’hui ?
Pr PIERRE-MARIE ROGER – Alors que les multirésistances progressent, aucun des produits apparus depuis vingt ans n’a véritablement modifié les pratiques. Il y a donc urgence à optimiser celles-ci. L’infection touche tous les organes, et toutes les spécialités médicales y sont confrontées. Pour autant, tous les médecins n’ont pas ce que l’on peut qualifier de « culture du microbe », ni celle du juste traitement : ni trop, ni trop peu. Un besoin de transversalité s’exprime donc, qui doit inciter l’infectiologie à exporter dans chaque établissement, sa capacité d’évaluation à la fois physiopathologique et thérapeutique. Cette question de l’évaluation est centrale.
En situation de méningite bactérienne, ou de choc septique, les choses sont claires. Mais dans la grande majorité des cas, les infections pulmonaires par exemple, l’évaluation clinique repose sur des critères un peu flous : anamnèse, analyse des comorbidités, des signes de gravité, de l’environnement du patient. Et chacun sait en outre que 30 % des infections pulmonaires sont d’origine virale, sans que l’on puisse montrer une infection virale évolutive. Dans ces conditions, la prescription est un exercice difficile. Le prélèvement se justifie-t-il ? Les résultats seront-ils interprétables ? Quelle sera leur pertinence ? La bactérie cultivée est-elle uniquement colonisatrice, ou causale dans l’infection ?
En pratique, on prescrit souvent pour se rassurer. Mais comme la plupart des infections se terminent bien, il n’y a pas d’évaluation de l’erreur. La difficulté est ainsi que l’évaluation passe en fait par la non-prescription, et la démonstration que cette attitude, lorsqu’elle est justifiée, ne s’accompagne pas d’une augmentation de la morbimortalité. La démarche demande cependant à être soigneusement encadrée. Et c’est la responsabilité des infectiologues d’accompagner leurs confrères d’autres spécialités.
Concrètement, comment procédez-vous pour exporter cette « culture du microbe » ?
Il faut d’abord souligner que le problème se pose à différentes échelles : échelle de l’établissement, en premier lieu, mais aussi, et c’est plus nouveau, échelle régionale. Si tous les CHU possèdent un service d’infectiologie, ce n’est guère le cas de la plupart des CHG. Il faut donc savoir entrer dans les services de son propre établissement, mais aussi se déplacer dans les hôpitaux périphériques.
Au CHU de Nice, nous sommes dans une démarche de proposition : nous profitons par exemple de patients communs pour proposer notre expertise. Ensuite, il s’agit d’accompagner le prescripteur dans son quotidien, lors des visites.
Au-delà de la simple prescription, nous essayons également d’améliorer le chemin clinique des patients dans les établissements. Un patient se présentant aux urgences avec une infection, est bien souvent admis dans le service qui dispose d’un lit. Or, un pneumologue sait faire un diagnostic pulmonaire, mais pas nécessairement prendre en charge une infection urinaire. Il est donc important d’optimiser aussi ce chemin clinique emprunter par le patient suspect d’infection, et s’il n’est pas possible d’admettre chaque patient dans le service ad hoc, de recentrer les admissions sur un secteur, pour éduquer l’œil du personnel médical et paramédical en place.
La démarche prend du temps : en une matinée, on accompagne au mieux deux prescripteurs de deux services différents. Ce remodelage du chemin clinique des patients suppose une bonne coordination à l’échelle de l’établissement. Mais les choses peuvent véritablement progresser, comme le montre notre intervention auprès du CH de Draguignan, ou l’expérience réseau « Antibiolor », mis en place en Lorraine à l’initiative du CHU de Nancy.
D’une manière générale, l’accueil fait à nos propositions n’est pas fonction de la structure, mais des interlocuteurs. Le plus souvent, cependant, l’expertise en infectiologie est bien accueillie dans les établissements ne possédant pas de service spécifique, en particulier par les médecins qui doivent faire face à des infections graves, comme les anesthésistes-réanimateurs, et les chirurgiens orthopédistes ou viscéraux.
Voilà des années que la lutte contre les multirésistances d’une part, contre les infections nosocomiales d’autre part, ainsi que les efforts pour promouvoir le bon usage des antibiotiques sont des priorités. Comment s’insère la démarche des infectiologues dans les dispositifs existants ?
Le virage a été pris en 2002, avec une circulaire imposant un référent d’antibiothérapie pour 500 lits. L’idée était de limiter la consommation d’antibiotiques, dont l’excès est officiellement de 30 %, et probablement plus proche de 50 %. Le problème est que par ailleurs, existe un déficit de prescription qui pourrait atteindre 20 %. En d’autres termes, on s’est attaché à réguler la quantité prescrite, mais un gros travail reste à faire sur la qualité de la prescription. Or, ce travail relève de l’évaluation clinique des patients.
En pratique, à partir de 2002, ce sont surtout des pharmaciens et des microbiologistes qui ont été désignés comme référents. S’agissant des antibiotiques et des bactéries, ces deux spécialistes ont toutes les compétences requises. En revanche, pour la majorité d’entre eux, ils ne disposent pas du regard clinique indispensable. C’est donc bien l’expertise de l’infectiologue qui doit venir compléter le dispositif, étant entendu que celui-ci doit rester multidisciplinaire et collégial.
Le développement des initiatives en ce sens est maintenant urgent. On entend parfois dire que les choses se mettront spontanément en place avec le renouvellement des générations. Mais la progression des souches multirésistantes est beaucoup trop rapide pour s’autoriser ce délai.
* D’après un entretien avec le Pr Pierre Marie Roger, CHU de Nice.
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