LE QUOTIDIEN : Comment qualifiez-vous le programme santé de François Fillon ?
CLAUDE LE PEN : Ce programme assumé tranche à la fois avec le discours très optimiste du gouvernement – "le déficit se résorbe, le reste à charge est faible" –, et avec l'extrême discrétion de ses concurrents à droite qui, eux, n'ont pas perçu la nécessité de faire de la santé un thème de campagne. François Fillon a intégré le mécontentement puissant des professions de santé mais aussi l'inquiétude diffuse d'une partie de la population pour l'avenir. Il a eu le mérite d'inscrire ce sujet dans l'agenda présidentiel.
Son projet de « dé-bureaucratiser » le système de santé vous semble-t-il pertinent ?
Oui, si l'on entend la plainte des professionnels de santé concernés, d'abord libéraux mais aussi hospitaliers, pour lesquels le poids de l'administratif, de la paperasse et de la bureaucratie est une préoccupation récurrente. C'est une des raisons du rejet du tiers payant généralisé en ville. Quant aux hôpitaux, ils sont toujours pilotés en direct de l'avenue de Ségur, avec des milliers de circulaires ! Le monde de la santé a le sentiment d'être accablé de règlements excessifs et d'étouffer. François Fillon a donné une dimension politique à un sujet qui a une forte résonance. Sur ce point, il a capté l'air du temps.
François Fillon a ouvert une polémique sur le « panier de soins », en distinguant les risques principaux couverts par l'assurance-maladie et les risques légers pris en charge par les complémentaires. Faut-il craindre une médecine à deux vitesses ?
Sur le plan politique, vouloir concentrer la Sécu sur le gros risque – les affections graves et de longue durée – a un côté provocateur. Pour ce candidat radical, c'est une façon de marquer sa différence en s'attaquant à un tabou.
Cela étant, la réalité du financement de la santé est déjà la focalisation du régime obligatoire sur les ALD à 100 % et les soins lourds. Si on enlève les personnes qui ne sont pas hospitalisées dans l'année ni en ALD, le taux de couverture de l'assurance-maladie tombe à 50 % des dépenses de santé ! François Fillon va plus loin en transformant cette dérive gestionnaire en volonté politique. Ce thème n'est pas nouveau : Jacques Barrot déjà avait différencié les risques lourds et les petits risques mais cela avait fait "pschitt"…
Les Français sont-ils prêts à entendre ce discours ? Cette proposition est clivante. Il y aura des réactions violentes sur le thème de la privatisation de la santé… Mais il existe aussi une approche pragmatique expliquant que ce chemin est déjà pris, qu'on peut aller plus loin, être plus efficace dans la gestion, etc.
Que faut-il penser de sa proposition de franchise médicale universelle en fonction des revenus ?
Il y a un problème de cohérence. Si on identifie un « petit risque » confié aux mutuelles, cela signifie que cette franchise médicale universelle porterait sur le gros risque. Cela voudrait donc dire que le risque lourd n'est pas remboursé pour partie, ce qui est difficile à assumer. Il faudra préciser ce que représente cette franchise annuelle : est-ce le simple cumul de forfaits qui existent déjà, ou une somme importante de 200, 300, 400 euros ou beaucoup plus ? Le chiffrage est un point majeur, surtout si la franchise dépend des revenus. Cette réforme exige une clarification.
J'ai le sentiment que plusieurs points du programme santé n'ont pas été travaillés sur le plan technique. Il fallait trouver des marqueurs lisibles. François Fillon avance des mesures jamais appliquées. Son cocktail est donc puissant mais mérite d'être "technicisé" : à ce stade, c'est davantage un programme "symbole" qu'une réforme réalisable en l'état.
François Fillon défend la règle d'or budgétaire. Est-ce réaliste ?
Autant je suis contre la règle d'or pour le budget de l'État, qui doit s'endetter un peu, autant il est très choquant de faire payer ses médicaments et ses lunettes par les générations futures ! La règle d'or est légitime et possible mais elle suppose de réfléchir à une nouvelle construction de l'ONDAM, avec une approche pluriannuelle.
Faut-il abroger ou recentrer l'Aide médicale d'État, qui s'adresse principalement aux étrangers en situation irrégulière ?
Qu'il faille contenir les dérives de l'AME dont le coût annuel est passé de 500 millions d'euros à près d'un milliard d'euros est nécessaire. Mais supprimer le principe ne me semble pas pertinent. L'AME est un dispositif justifié sur le plan de la santé publique et qui honore notre pays car on soigne des malades sans carte de séjour. Des études ont montré le risque qu'il y aurait de développer des pathologies encore plus graves et coûteuses en cas d'abrogation de l'AME.
Ses propositions sur la baisse des effectifs ou le retour aux 39 heures sans contrepartie ne risquent-elles pas d'embraser l'hôpital ?
La menace existe lorsqu'on se souvient des difficultés énormes de Martin Hirsch pour s'attaquer à la question des 35 heures à l'AP-HP. Franchement, beaucoup de gens admettent que les 35 heures à l'hôpital ont été mal fichues, ont conduit à une désorganisation des services, à des comptes épargne temps pléthoriques. Mais repasser à 39 heures sans augmenter les rémunérations de façon équivalente, sera extrêmement compliqué. Mais dans sa logique thatchérienne, François Fillon est prêt à affronter les syndicats…
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce
La prescription d’antibiotiques en ville se stabilise
Le Parlement adopte une loi sur le repérage des troubles du neurodéveloppement
Chirurgie : les protocoles de lutte contre l’antibiorésistance restent mal appliqués, regrette l’Académie