LE QUOTIDIEN : A Nogent-le-Rotrou, le Dr Rousseaux a été tué à son cabinet après avoir reçu plusieurs dizaines coups de couteau. N’a-t-on pas franchi une étape dans la violence à l’encontre des médecins libéraux ?
Dr PATRICK BOUET : Nous continuons à être sur une pente très inquiétante. La nature, l’intensité, la fréquence et la répartition de ces agressions augmentent chaque année. Surtout, nous faisons malheureusement face, de plus en plus souvent, à des agressions d’une violence extrême qui n’étaient pas fréquentes auparavant.
Nous sommes à peu près dans la même situation que lors de l’agression de Châtellerault [en octobre dernier, une généraliste avait subi un traumatisme cérébral avec hématome à la suite de la violente agression physique d’un patient NDLR]. Aujourd’hui, les praticiens n’ont d’autre choix que d’exprimer leur émotion, leur inquiétude, leur angoisse, face à une situation dont ils sont les victimes. Pour eux, cette situation est incompréhensible. Les médecins ne peuvent pas comprendre pourquoi ils deviennent les victimes sanglantes d’une population qu’ils sont là pour soigner.
Le Dr Rousseaux exerçait dans un quartier calme d’une ville plutôt calme. On a le sentiment que plus aucun praticien n’est à l’abri…
C’est ce que nous disons depuis des années : toute la profession est exposée, et pas seulement des praticiens qui exerceraient dans certains quartiers ou dans certaines conditions.
Mais que peut faire l’Ordre pour lutter contre ces agressions ?
L’Ordre agit d’abord au niveau national. Nous avons travaillé sur ce dossier puis rencontré le ministre de l’Intérieur Bruno Le Roux le 15 décembre 2016 ; nous aimerions à cet égard avoir des rendez-vous équivalents avec le ministère de la Santé. De leur côté, les conseils départementaux agissent avec les préfectures et les forces de sécurité pour identifier les situations à risques et surtout se mettre à l’écoute des professionnels qui manquent d’interlocuteurs – ou ne savent pas lesquels contacter.
En 2011, un protocole de sécurité avait été signé avec les ministères concernés prévoyant la création d’un numéro d’urgence dans chaque département, l’aide à l’installation d’outils de surveillance… Cinq ans après, on a le sentiment que ça n’avance pas.
C’est exactement ce que j’ai dit au ministre de l’Intérieur lors de notre rencontre ! Ces protocoles de sécurité ont parfois été déclinés au niveau départemental, mais de façon parcellaire. Il manque une évaluation globale de ces actions locales, si bien qu’il n’est pas possible de décider leur généralisation.
Il est donc urgent de mettre en place cette cellule d’évaluation et d’appliquer partout les mesures concrètes qui s’imposent. Est-ce la géolocalisation des praticiens, la possibilité de contacter en un geste le commissariat ou la gendarmerie ? Est-ce l’accompagnement physique des professionnels lors de certains déplacements, est-ce une éducation à la conduite à tenir face aux situations d’agression ? Il faut décider. Les professionnels doivent être formés à la gestion de la crise. L’Ordre a déjà mis en place des séances de formation dans un grand nombre de départements avec des vidéos didactiques sur certaines conduites à tenir.
Les politiques ont-ils pris la mesure de cette insécurité croissante des soignants ?
Nous nous rendons compte qu’au-delà des paroles apaisantes des pouvoirs publics, il reste beaucoup à faire pour protéger les professionnels de santé – dans les cabinets libéraux comme dans les établissements hospitaliers, les centres de santé ou les services de médecine du travail. Le ministère de l’Intérieur n’est ni le premier ni le seul en cause, il y a aussi le ministère de la Santé ! La première chose à faire serait d’éduquer la population au respect de la fonction spécifique des professionnels de santé, qui sont là pour aider la population. Ces professionnels, comme la loi l’exige, doivent être protégés dans leur mission. Je demande aux deux ministères de s’associer pour qu’on avance enfin.
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