Les dernières nouvelles de la psychiatrie placent le projecteur sur le versant sombre de la discipline. En mai dernier le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dénonçait la banalisation de la contention et de l'isolement.
Selon les dernières données de l'IRDES, le recours à l'isolement aurait plus que doublé en 12 ans, de 13 000 patients concernés en 2003 à au moins 28 000 en 2016, avec de grandes disparités selon les territoires (de moins de 5 % à plus de 30 % dans le Jura, Aube, la Haute-Loire, la Corrèze).
Les soins sans consentement ont, eux, augmenté de 15,9 % depuis la loi de 2011 pour toucher plus de 92 000 personnes en 2015. Si une part de cette hausse s'explique par l'élargissement des soins hors les murs, la diversité des pratiques, de nouveau interroge, tout comme l'explosion (+128 %) des admissions pour péril imminent sans tiers (SPI), qui concerne 21 % des patients en soins sans consentement. « Le recours aux SPI ne peut être un expédient pour désengorger les urgences ni une solution de facilité, c'est inadmissible », s'insurgeait le député socialiste Denys Robiliard, mi-février.
Les causes sont loin d'être univoques. Moins d'un tiers des disparités s'explique par des différences de prévalence des troubles sévères. Le manque de moyens n'explique pas tout : entrent en jeu aussi les cultures et histoires des services, tout comme l'architecture. Les psychiatres sont nombreux à réclamer un observatoire national des pratiques (l'encadrement de l'isolement et de la contention par la HAS va dans ce sens, voir ci-contre). Sur le terrain, une prise de conscience s'amorce. Exemple : le Dr Michel David (vice-président du Syndicat des psychiatres des hôpitaux) est chargé d'une mission au sein de la fondation Bon Sauveur de la Manche sur la liberté d'aller et venir des patients : « Il s'agit d'avoir une vision globale, qui aille jusqu'à questionner les locaux, comme les représentations du soin ou encore le sentiment de sécurité des soignants », explique-t-il.
Postes vacants, refonte du secteur
Aborder la psychiatrie uniquement par le prisme de la contrainte serait occulter la lame de fond qui travaille une discipline, confrontée à une demande sociétale de plus en plus forte (du burn-out à la prise en charge des victimes d'attentat en passant par la recherche de bien-être), tout en portant le poids d'une histoire singulière marquée par l'asile.
Certains services hospitaliers manquent cruellement de psychiatres. Au 1er janvier 2016, le taux de vacance des postes temps plein était de 27 % (4 814 postes occupés, pour 6 606 budgétés), celui des temps partiel de 47 %. Les PU-PH en psychiatrie sont une centaine (dont 27 seulement pour la pédopsy soit 9 universités qui en sont dépourvues) pour… 2 000 internes, souligne le Pr Pierre Thomas, président du Collège national des Universitaires de psychiatrie (CNUP).
Pour compliquer l'affaire, les psychiatres doivent s'approprier les changements apportés par la loi Santé du 26 janvier 2016, à commencer par la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT), avec la crainte, « pour 75 % des structures rattachées à des GHT polyvalents, que la psychiatrie soit une variable d'ajustement », note le Dr Norbert Skunik (intersyndicale de défense de la psychiatrie publique). Ils doivent aussi participer à la constitution des projets régionaux de santé mentale (pilotés par les Agences régionales de santé) et des commmunautés psychiatriques de territoire. Tout un tricotage administratif, potentiellement chronophage. « Or on nous demande de tricoter vite ! », dit le Dr Marc Bétrémieux (président du SPH). Ses craintes : des trous dans le maillage, et « de la souffrance chez des praticiens qui subiraient la réorganisation du secteur sans y prendre part, alors qu'il faut que les diagnostics partent du terrain et répondent aux besoins des populations ».
Psychiatre ouverte
« Le vrai changement ? C'est pour la psychiatrie qui travaillait seule, d'apprendre à travailler avec d'autres cultures », analyse le Pr Pierre Thomas, qui voit dans cette réorganisation l'occasion de reformuler les parcours de soins et les rendre plus lisibles pour les usagers. « Il y a la crainte d'y laisser son identité, certes, mais nous devons revenir sur une organisation à l'ancienne marquée par la polyvalence, où le psychiatre fait tout, seul, dans un lieu fermé ».
La tour d'ivoire s'est effondrée dans l'imaginaire des internes, attirés par la diversité de la psychiatrie (psy de liaison, oncopsy, urgence, prison, gérontopsy, médicosocial, expertise, etc). « Il y a une vraie richesse, on peut voir tous les âges de la vie, tous les courants de pensée », explique Bénédicte Barbotin, présidente de l'Association française fédérative des étudiants en psychiatrie. L'hôpital semble n'avoir pas perdu son attrait : « La majorité des internes veulent, après un clinicat et un assistanat, un exercice mixte » précise-t-elle.
Mais réussir cette mue suppose une vraie volonté et politique de santé mentale qui ne laisse pas des territoires et des pans sinistrés (comme la pédopsychiatrie ou la recherche). « Il faut investir dans les formations, l'innovation, et mener une politique globale d'évaluation des réorganisations », estime le Dr Rachel Bocher (Intersyndicat national des praticiens hospitaliers, CHRU Nantes). Les autorités ont créé en 2016 un Conseil national de la santé mentale, qui doit travailler avec un comité de pilotage dédié à la psychiatrie. « Nous devons nous en saisir pour faire sortir des propositions concrètes », invite le Pr Thomas.
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