C’EST EN PRÉSENCE des ministres béninois de la Santé et des Affaires étrangères, accompagnés de l’ambassadeur français chargé de la lutte contre le VIH/sida, Patrice Debré, que va être lancé aujourd’hui le programme ESTHERAID. Ce projet ambitieux, élaboré par ESTHER et financé à hauteur de 15 millions sur 3 ans par UNITAID, devrait permettre d’améliorer l’accès aux antirétroviraux pédiatriques et aux médicaments de deuxième ligne dans 5 pays de l’Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Mali, la République centrafricaine.
Le Pr Gilles Brücker, directeur du GIP ESTHER explique la genèse de ce projet conçu il y a deux ans : « L’accès aux antirétroviraux a beaucoup progressé depuis plusieurs années grâce à la mobilisation internationale et aux financements multilatéraux (Fonds mondial et UNITAID) ou bilatéraux. Aujourd’hui, 35 % des besoins en médicaments sont assurés. On peut s’en réjouir, mais ces progrès ne doivent pas masquer le fait que 2 personnes sur 3 parmi celles qui en ont besoin ne bénéficient pas de traitement. » De plus, ajoute-t-il, « les chiffres dont nous disposons montrent que seulement 2 à 3 % des patients sont sous traitement de deuxième ligne, alors que, selon les recommandations de l’OMS, ce sont 2 à 3 % chaque année qui devraient passer d’un traitement de première ligne à un traitement de deuxième ligne. »
Ces données témoignent d’un accès insuffisant non seulement à des traitements efficaces mais aussi à des outils de suivi biologique adaptés : « Les médecins qui prennent en charge les malades ne disposent pas d’examens tels que la charge virale, l’indicateur le plus précoce de non-efficacité des traitements », poursuit le directeur d’ESTHER.
Les enfants d’abord.
Du côté des enfants, le constat est encore plus dramatique : « Moins de 10 à 20 % maximum des enfants sont traités alors qu’ils devraient l’être tous », poursuit le Pr Brücker. Les enfants sont rarement une priorité de santé publique dans la plupart des pays d’endémie, mais l’accès aux médicaments pédiatriques comme aux outils diagnostiques tels que la PCR constitue également un frein au traitement. « La sérologie ne suffit pas, car il faut attendre plus d’un an que l’enfant élimine les anticorps maternels. Une sérologie positive chez un enfant qui naît d’une mère positive ne permet pas de conclure », précise-t-il. Pour empêcher les perdus de vue et favoriser le traitement précoce des enfants, l’accès à des tests adaptés est indispensable. « Ce type de tests coûte cher, en raison d’une situation de quasi monopole, et il est très difficile d’obtenir des prix compatibles avec les budgets disponibles dans les pays du sud », note le Dr Gilles Raguin, directeur du département médical et scientifique d’ESTHER.
Pour le Pr Brücker comme pour le Dr Raguin, la mise à disposition des médicaments et des outils diagnostiques est un impératif, mais il ne suffit pas, car les ruptures d’approvisionnement sont fréquentes, en raison de la complexité et du morcellement des circuits pharmaceutiques. « Les équipes sur le terrain ont souvent été désespérées de constater que des tonnes de médicaments arrivaient sur le tarmac de l’aéroport ou dans les pharmacies mais étaient périmés avant que les patients y aient accès », rapporte le Dr Raguin.
D’où l’idée d’un rapprochement avec UNITAID. La Facilité d’achat de médicaments financée par la taxe sur les billets d’avion (300 millions de dollars par an) est en effet impliquée depuis sa création en 2006 dans l’accès aux traitements innovants pédiatriques ou de deuxième ligne chez l’adulte, de même que dans l’accès aux outils de suivis biologiques. Philippe Duneton, son directeur général adjoint, souligne : « Nous sommes souvent confrontés à des difficultés sur la chaîne d’approvisionnement. Le projet ESTHERAID dans 5 pays va nous permettre de nous assurer de la bonne distribution et de la bonne utilisation des produits que l’on met à disposition dans les centrales d’achat. »
Exigence de qualité.
L’un des 3 volets du programme ESTHERAID consiste précisément à sécuriser la chaîne d’approvisionnement : les médicaments au bon endroit au bon moment. « C’est une étape centrale », insiste le Pr Brücker. « Comment s’assurer que les médicaments seront acheminés dans de bonnes conditions, du tarmac des aéroports aux pharmacies centrales, et qu’ils seront ensuite distribués sur l’ensemble des sites de prescription et de prise en charge des patients », ajoute-t-il. Des experts, pharmaciens et spécialistes de santé publique, vont aider les pays à renforcer leur circuit d’approvisionnement, de distribution et de gestion des stocks.
Le deuxième volet du projet est essentiellement clinique et repose en partie sur les jumelages hospitaliers qui fondent l’action d’ESTHER depuis sa création en 2002. « Même si les moyens au Nord et au Sud ne sont pas les mêmes, même si les pratiques ne peuvent être superposables, nous devons avoir la même exigence de qualité et de résultat », affirme le Pr Brücker. Si le deuxième volet vise à donner le bon traitement au bon patient, le troisième et dernier volet du projet a pour objectif d’optimiser le suivi des patients grâce notamment au logiciel ÉSOPE de suivi individualisé des patients et qui donne une vision globale des files actives. De même, un logiciel de suivi des consommations médicamenteuses va permettre d’anticiper et de prévenir les ruptures d’approvisionnement.
« Le projet est ambitieux, commente Philippe Duneton. Il nous permet d’aller plus loin que ce que nous faisons d’habitude. Nous allons en retour pouvoir disposer d’une information qualitative sur ce que nous faisons ». Et peut-être même que ce projet pilote permettra-t-il de faire la preuve que logique bilatérale et logique multilatérale sont complémentaires. « Il ne suffit pas de donner de l’argent, il faut un accompagnement technique, un compagnonnage médical qui aide les pays à optimiser les moyens dont ils disposent », conclut le Pr Brücker.
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