Le cancer de la prostate lié à l’exposition aux pesticides est désormais reconnu comme maladie professionnelle, selon un décret publié au « Journal officiel » ce 22 décembre.
Cette mesure, annoncée par le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, le 20 octobre dernier, fait suite à l’examen par la Commission supérieure des maladies professionnelles en agriculture (Cosmap) des travaux de l’Anses et de l’Inserm. Son avis favorable a été adopté à l’unanimité, indique un communiqué du ministère de l’Agriculture.
Après la maladie de Parkinson en 2018 et le lymphome non hodgkinien en 2019, le cancer de la prostate est ainsi la troisième pathologie reconnue comme maladie professionnelle chez les agriculteurs exposés aux pesticides.
« C’est une décision attendue depuis huit ans », souligne auprès du « Quotidien » le Dr Pierre-Michel Périnaud, médecin généraliste et président de l’association Alerte des médecins sur les pesticides. Il relève la « lenteur » du processus de reconnaissance des effets sanitaires d’une exposition aux pesticides, alors qu’une expertise de l’Inserm établissait dès 2013 un lien entre exposition aux pesticides et cancer de la prostate avec un « niveau de preuve fort ».
Une exposition d’au moins 10 ans
Selon les termes du décret, le terme « pesticides » renvoie « aux produits à usages agricoles et aux produits destinés à l'entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi qu'aux biocides et aux antiparasitaires vétérinaires, qu'ils soient autorisés ou non au moment de la demande ».
Les expositions aux pesticides sont définies par les travaux effectués « lors de la manipulation ou l'emploi de ces produits, par contact ou par inhalation » et « par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou lors de l'entretien des machines destinées à l'application des pesticides ».
Concrètement, tous les exploitants ou salariés agricoles sont concernés s’ils répondent à deux critères : une exposition aux pesticides d’au moins 10 ans et un délai maximal de prise en charge de 40 ans entre la dernière exposition et l’apparition de la maladie.
Ce délai de 40 ans « est un paramètre très large qui permet de prendre en compte un effet très différé, le cancer de la prostate étant un cancer à progression lente », expliquait récemment Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle expertise de l’Anses.
En revanche, une exposition d’au moins 10 ans représente une « interprétation restrictive des données scientifiques », juge le Dr Périnaud. « Les résultats de l’étude AgriCan (agriculture et cancer) montrent une augmentation du risque relatif à partir de 10 ans. Mais c’est une statistique qui ne signifie pas une absence d’effets avec une exposition plus courte. Un délai de 5 ans aurait été un critère plus protecteur », justifie-t-il.
Des victimes indemnisées par un fonds dédié
Pour ceux répondant à ces critères, les délais de reconnaissance du cancer de la prostate comme maladie professionnelle liée aux pesticides devraient passer de « 8 à 4 mois », précisait récemment le ministère de l’Agriculture. Les personnes exposées moins de 10 ans ne bénéficieront pas d’une reconnaissance automatique mais pourront déposer une demande auprès des Commissions régionales de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), précisait-il encore.
La reconnaissance comme maladie professionnelle doit permettre de faciliter l'indemnisation des victimes. La mesure ouvre en effet l’accès à un fonds d’indemnisation des victimes des pesticides, créé en 2020. Ce fonds, qui doit permettre une indemnisation « plus équitable » des victimes, selon le ministère de l’Agriculture, devrait prendre en compte les enfants exposés in utero.
Le décret s'inscrit également dans le cadre du plan Chlordécone IV qui prévoit un dispositif d’accompagnement des personnes concernées par une exposition à la chlordécone aux Antilles (Guadeloupe et Martinique), où Santé publique France estime que plus de 90 % de la population adulte est actuellement contaminée par ce pesticide utilisé jusqu’en 1993 dans ces territoires.
Les autorités ne sont pas encore en mesure d’évaluer le nombre de victimes et le montant total des indemnisations. « On ne peut pas préjuger en amont du nombre de victimes », a insisté le ministère, estimant des indemnisations de l’ordre de 1 000 à 19 000 euros par an pour un exploitant agricole.
« Les travaux se poursuivent », indique le ministère, notamment « pour indemniser certaines pathologies de l’enfant lorsqu’ils ont été exposés in utero du fait de l’activité professionnelle de leur parent ». La Cosmap a lancé des travaux pour examiner d’autres pathologies et notamment la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO).
« Les données scientifiques s’accumulent sur le lien entre exposition aux pesticides et un certain nombre de pathologies. Les délais pour la reconnaissance de ces maladies professionnelles doivent être réduits, car il y a un réel préjudice pour les patients », insiste le Dr Périnaud.
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