Après les famines des années soixante-dix et 80, au Biafra et en Éthiopie et celle, plus récente, qui a fait 260 000 morts en Somalie, en 2011, revoici des images vieilles comme le monde : des enfants décharnés qui souffrent de malnutrition aiguë et de détresse respiratoire, dans les bras de parents squelettiques.
Selon les estimations de l’ONU, ce sont plus de 20 millions de personnes qui sont aujourd’hui en situation d’urgence alimentaire et humanitaire absolues dans la région du lac Tchad. La phase 5, le seuil de famine (plus de 20 % de la population), a été officiellement franchi au Soudan du Sud. « Près de 28 % des habitants sont aujourd’hui touchés, estime le Dr Serge Bresse, directeur du département expertise et plaidoyer à ACF (Action contre la faim) ; après trois années de sécheresse, 6 millions de personnes dont 400 000 enfants sont menacés. » Le risque épidémique lié à l’absence d’accès aux soins et au changement climatique est majeur : on a dénombré plus de 100 morts du choléra. « Au Nord Nigeria, plus de 100 000 personnes, soit 37,5 % de la population font face à une pénurie extrême, aussi bien sur le plan nutritionnel qu’en accès aux soins primaires, évalue le Dr Marius Musca, responsable de l’urgence à Médecins du monde. Nous avons déployé 10 centres de santé mobile et 150 expatriés dans six camps où vivent 1,8 million de déplacés, qui ont fui les violences de Boko Haram. »
40 à 50 d'enfants malnutris
« La crise qui sévit dans l’État de Borno (Nord Nigeria) est la plus sévère que j’aie personnellement observée en près de 20 ans, témoigne le Dr Isabelle Defourny, directrice des opérations à Médecins sans frontières. MSF en avait appelé dès juillet 2016 à une mobilisation humanitaire massive, alors que 40 à 50 % des enfants de moins de cinq ans sont malnutris et que les adolescents, enrôlés de force par les groupes djihadistes ont disparu des villages et des camps. » « Au Yémen, les bombardements continuels de la coalition menée par l’Arabie Saoudite épuisent l’ensemble de la population que l’on ne parvient plus à ravitailler », constate le Dr Musca. En Somalie, le risque d’épidémie de choléra et diarrhées aiguës pourrait aussi se propager à près de 5,5 millions de personnes, redoute l’OMS.
« La famine est l’œuvre de l’homme ».
Toutes les ONG sont d’accord, « la famine est l’œuvre de l’homme », comme le souligne la directrice du PAM (ONU, Programme alimentaire mondial). « La guerre entraîne l’effondrement du système économique et du système de santé, explique Pierre Mendiharat, directeur adjoint des opérations de MSF. Avec la coupure des routes d’approvisionnement, les denrées deviennent hors de prix, les cultures ne sont plus semées, tout contribue à la pénurie alimentaire et à l’inflation de leur prix. »
L’ONU, par la voix de son secrétaire général Antonio Guterres, qui s’est rendu à Mogadiscio, chiffre à 4,4 milliards de dollars le montant de l’aide nécessaire pour venir en aide à tous les pays aspirés par la spirale de la famine. PAM, UNICEF et OMS (Organisation mondiale de la santé) viennent de lancer une alerte jugée « tardive » par les ONG. « De nombreux signes annonçaient la catastrophe depuis des années, assure le Dr Musca : réchauffement climatique, conflits locaux entraînant déplacements de populations et ruine économique. Aujourd’hui, les moyens financiers sont nécessaires, mais la priorité, c’est l’arrêt des hostilités pour déployer l’assistance alimentaire et sanitaire sur des terrains actuellement impraticables. »
Le risque va croître
« L’accès aux poches de populations enclavées est tellement compliqué, insiste le Dr Defourny, que l’on ne parvient pas à dresser une cartographie exacte de la catastrophe dans les quatre pays les plus touchés. Pour enclencher les mécanismes d’assistance, à supposer qu’on réussisse à les financer, encore faut-il qu’on ait négocié avec les divers belligérants des passages pour les convois. Or, aujourd’hui, la priorité reste donnée à la lutte contre le terrorisme et non à la sécurisation des villes et des villages enclavés dans les conflits, mis également en danger par les deux camps, rebelles ou gouvernementaux. »
« Le risque de famine va croître malgré les moyens financiers dégagés (actuellement 40 % des besoins), tant que les solutions politiques n’auront pas été trouvées, prévient Patrick Grose, porte-parole de l’UNICEF, joint à Dakar, alors qu’il vient de passer cinq semaines en Somalie. La seule issue passe par des négociations entre les belligérants pour laisser intervenir nos convois, mais la communauté internationale ne se mobilise pas pour les imposer. Les pays européens s’étaient sentis directement menacés lors de l’épidémie d’Ebola, ils ont réagi quand la vague migratoire a déferlé chez eux, mais ils ne se sentent pas impliqués dans les conflits qui ravagent l’Afrique de l’Est et aggravent la catastrophe humanitaire. » Dans le silence médiatique, l’ombre de la famine s’étend.
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