« LES PATIENTS ont un savoir qui n’est pas exploité », estime le Pr Jean-François d’Ivernois, co-directeur avec le Pr Rémi Gagnayre du Laboratoire éducations et pratiques de santé de l’Université Paris 13. En partenariat avec l’Association française des hémophiles (AFH), ils viennent de réaliser une étude qui développe un modèle innovant en matière d’éducation thérapeutique des patients (ETP) et potentiellement transférable à d’autres pathologies chroniques.
Partant du constat que l’ETP n’est véritablement efficace que lorsque les patients sont acteurs de sa conception et de sa mise en œuvre, les auteurs de cette étude se sont attachés à évaluer « l’intérêt d’une ETP pour et par les patients hémophiles dans le cadre de la prévention des accidents hémorragiques ». Concrètement, ils ont d’abord identifié 9 patients « sentinelles », c’est-à-dire capables de repérer les signes précoces infracliniques d’hémorragie, puis analysé leur sémiologie personnelle, autrement dit les mots et expressions qu’ils emploient pour qualifier les perceptions qu’ils ont de l’imminence d’un épisode hémorragique.
L’œnologie à la rescousse.
À partir de l’analyse de cette sémiologie personnelle particulièrement riche (plus de 25 signes recensés contre 5 dans la sémiologie médicale), le laboratoire a élaboré une taxonomie des signes précoces grâce au concours d’autres disciplines au sein desquelles la dégustation en œnologie s’est avérée être celle qui apportait le plus de pistes de transposition intéressantes. Les sensations somesthésiques utilisées dans l’art de la dégustation des vins ont en effet montré des correspondances avec celles rapportées par les patients sentinelles pour décrire leurs signes et ont été mises en parallèle avec la sémiologie médicale, « afin de mieux percevoir les enjeux de leur prise en compte dans la gestion de l’expression de la maladie ».
À l’issue de cette phase, des ressources pédagogiques ont été élaborées et complétées par un guide d’utilisation destiné aux binômes d’animateurs (patient ressource et soignant) des ateliers d’ETP. Entre autres effets positifs, les soignants impliqués dans cette recherche ont avoué leur ignorance de ces signes précoces, absents du répertoire des signes cliniques répertoriés dans la sémiologie médicale, et reconnu l’impact qu’elle avait eu sur leur pratique professionnelle. Ce que Jean-Charles Verheye, chargé de mission dans le Laboratoire Éducations et pratiques de santé, qualifie d’ « effet collatéral aboutissant à un co-apprentissage ».
Les conditions de l’« alliance thérapeutique ».
Au cœur de cette démarche, la reconnaissance et l’intégration du savoir des patients à l’ETP vise pour le Pr d’Ivernois à opérer une révolution épistémologique dans la pratique médicale en « modifiant radicalement le rapport soignant/soigné grâce à l’irruption de co-soignants en la personne des patients eux-mêmes ». Il rappelle qu’ « on ne réussira l’alliance thérapeutique que si les savoirs profanes et médicaux sont partagés ».
Pour Thomas Sannié, président de l’AFH, un changement de paradigme est en marche : « 25 années ont été nécessaires à la reconnaissance de l’ETP et nous ne sommes qu’au début de la légitimation du savoir des patients ». Selon lui, « l’enjeu à venir est fondamental » et les premiers résultats qui se dégagent de cette recherche permettent de compléter les éléments sur la sémiologie personnelle déjà recueillis dans le domaine du diabète et d’ouvrir des perspectives à bien d’autres pathologies chroniques.
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce
La prescription d’antibiotiques en ville se stabilise
Le Parlement adopte une loi sur le repérage des troubles du neurodéveloppement
Chirurgie : les protocoles de lutte contre l’antibiorésistance restent mal appliqués, regrette l’Académie