LE QUOTIDIEN : En quoi la continuité des soins est-elle un défi derrière des barreaux ?
Dr CATHERINE FAC : La prison peut être l'occasion de structurer une prise en charge pour des personnes éloignées du système de santé mais elle peut aussi créer des ruptures ou des retards de soins.
À leur arrivée en détention, toutes les personnes se voient proposer une consultation au cours de laquelle nous reprenons les antécédents, réalisons un examen médical, proposons les sérologies VIH, hépatites A, B, C, syphilis, les dépistages d'autres infections sexuellement transmissibles (chlamydia, gonocoque, syphilis et trichomonase) et de la tuberculose.
Mais certains arrivants n'ont pas pensé à prendre leurs ordonnances ni leurs traitements, lunettes, dentiers, appareils respiratoires. Ils ne veulent pas forcément que nous contactions leur médecin traitant… Et lors de leur libération, les sortants oublient parfois de récupérer leur dossier et nous n'avons pas toujours d'adresse à laquelle l'envoyer.
Comment améliorer la continuité des soins ?
Dr C. F. : Nous essayons d'anticiper les sorties. Nous avons la chance d'avoir un médecin qui travaille à la permanence d'accès aux soins de santé (Pass) de l'hôpital, possible point de chute, nous sommes en lien avec le Samu social et le centre de lutte anti-tuberculose. On essaie de donner la quantité de traitement suffisante pour que les personnes aient le temps de se réaffilier au centre de sécurité sociale de leur domicile. Mais la santé passe souvent derrière d'autres priorités comme le logement.
Dr PASCALE GIRAVALLI : La prison, qui concentre la précarité, la pauvreté et la maladie, est le reflet de l’état des dispositifs extérieurs. Il faut être attentif et travailler en amont et en aval de l’incarcération.
L'état actuel de la psychiatrie fait que les précaires et les personnes en rupture de soins se retrouvent plus facilement incarcérés. En particulier par le biais de la comparution immédiate, souvent sans expertise psychiatrique. Le dispositif « Alternative à l'incarcération par le logement et le suivi intensif » (Ailsi), lancé à l'origine par Médecins du Monde à Marseille, est intéressant en ce qu'il propose, à la sortie d'une garde à vue pour délit, un hébergement et des soins. Cela permet à la personne souffrant de troubles psychiques de comparaître libre au tribunal, avec un projet de vie et l'espoir d'éviter la prison.
En aval, des équipes mobiles transitionnelles (Emot) existent à Lille et à Toulouse, d'autres devraient être créées à Luynes et Arles, pour accompagner les patients vers des relais de soins à la sortie. Cela suppose néanmoins la structuration de l'offre en termes de soins et d'hébergement, faute de quoi elles vont s'épuiser.
Cela fait 30 ans que je travaille dans ce milieu, et la sortie des personnes détenues a toujours été compliquée, ne serait-ce qu'en raison de la représentation tenace du « malade délinquant/dangereux ». Il est capital que les dispositifs extérieurs répondent présents. Par ailleurs, la situation des malades en situation irrégulière avec des ordres de reconduite à la frontière est très problématique. Au sortir de prison, ils continuent à avoir besoin de soins et il est possible de les hospitaliser, mais l'accueil de ces patients aux besoins sociaux immenses (ils doivent obtenir le statut d'étranger malade) est délicat pour les hôpitaux publics.
Dans quelle mesure un suivi somatique et psychique est-il tout de même possible ?
Dr C. F. : Heureusement, toutes les personnes détenues ne sont pas malades ! Les infirmiers voient régulièrement les personnes, ne serait-ce qu'en leur distribuant leurs médicaments en cellule. Quant aux personnes très malades, des consultations régulières sont programmées. Les prises en charge du VIH et des hépatites fonctionnent bien : pour le VHC, on arrive même à soigner avant leur sortie les personnes qui ont voulu être dépistées.
Nous avons trois vacations de spécialistes, dont une gynécologue pour la maison d'arrêt des femmes une fois par mois. Un urologue, un rhumatologue et un dermatologue viennent aussi chaque mois de l'hôpital Kremlin-Bicêtre. On recourt à la télémédecine et au télédiagnostic. Nous pouvons envoyer facilement les patients vers l'hôpital voisin de Fresnes qui dispose d'un plateau technique plus important.
Les difficultés surviennent lorsqu'il faut prendre des rendez-vous à l'extérieur de la prison faute d'avoir les spécialités sur place, car cela suppose des escortes, voire des gardes statiques de police. Sans compter que les patients sont réticents à sortir dans ces conditions.
Dr P. G. : Les problèmes sont différents selon que l'on est en maison d'arrêt (où la surpopulation entrave la qualité des soins), en centre de détention ou en centrale.
Il existe trois niveaux de soins psychiatriques. Le premier est assuré par l'équipe pluridisciplinaire de l'unité sanitaire, qui propose des consultations, des activités thérapeutiques et des accueils thérapeutiques à temps partiel. Puis le service médico-psychologique régional (SMPR) est un hôpital de jour en milieu pénitentiaire qui accueille en soins libres des patients qui repartent ensuite dans leur établissement d'origine. Enfin, lorsque les personnes ont besoin d'une prise en charge à temps complet, elles sont transférées à l’hôpital psychiatrique soit dans un secteur de psychiatrie générale en soins sans consentement soit dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) en soins libres ou sans consentement, voire, si leur état le nécessite, en unité pour malades difficiles (UMD).
Les neuf et bientôt 12 UHSA, ces hôpitaux sécurisés mixtes en âge et genre, ont contribué à augmenter le niveau des soins. Elles permettent d'aller au-delà du symptôme et d'essayer de traiter le fond des problèmes. À Marseille, les patients restent en moyenne 50 jours (entre une semaine et plusieurs années). Mais ce dispositif spécifique induit aussi des discontinuités, car une fois libérés, les patients doivent reprendre le travail avec une équipe inconnue.
Plus fondamentalement se pose la question des suspensions ou aménagements de peine lorsque l'état de santé est « durablement incompatible avec la détention ». Souvent, nous nous censurons dans nos demandes car la tâche est ardue : il faut trouver une équipe de soins qui accepte d’accueillir un patient, la justice doit donner son accord…
Le taux de suicidalité en prison est anormalement élevé. Que faire ?
Dr P. G. : C'est un sujet complexe, dans lequel tout le monde a sa partition à jouer, les acteurs de la santé comme l'administration pénitentiaire et la justice. L'extension du 3114 à la prison est pertinente, mais il faut aussi que les psychiatres puissent recevoir tranquillement les patients et que les maisons d’arrêt ne soient pas surpeuplées. Et encore une fois interroger l'amont : pourquoi tant de gens sont en prison au titre de leur précarité et de leur maladie psychiatrique ?
Quelles sont les priorités aujourd'hui pour garantir la qualité des soins ?
Dr C. F. : Il faut renforcer les moyens humains, budgétaires et matériels. Notre unité sanitaire travaille avec six équivalents temps plein, alors que plus de 11 postes sont budgétés pour la médecine générale. Nous avons dû fermer la salle radio, faute de manipulateur ; il nous faudrait le double de chirurgiens-dentistes. Les postes non pourvus à l'hôpital le sont encore moins en prison.
Sans oublier que la surpopulation carcérale, qui génère du stress et des conflits, s'accompagne d'une augmentation de la charge de travail… Pour une division de 500-600 personnes, nous recevons 70 à 80 demandes par jour et réalisons 1 200 consultations médicales par mois.
Dr P. G. : À Marseille, nous n'avons jamais ouvert la troisième unité de 20 lits, faute de recrutement. Il faut travailler sur l’attractivité de l’exercice sur les trois niveaux de soins.
Comment encourager l'exercice en prison ?
Dr C. F. : Il faut faire connaître ce mode d'exercice, varié et enrichissant : bien sûr, nous traitons des rhumes, mais également, nous dépistons des hypertensions sévères, des insuffisances cardiaques, nous suivons des personnes dialysées…
Mais il ne faut pas nier les contraintes : la sécurité et les portiques, le bruit, les locaux vétustes. Il faudrait réfléchir à une valorisation financière de ces postes et travailler sur les échelons et la carrière.
Dr P. G. : Cela aiderait, indéniablement. Il faut aussi soigner le partenariat avec l'administration pénitentiaire. Nos missions ne sont pas les mêmes : il faut des temps de coordination. La prison n'est pas un lieu de soin, mais un lieu où le soin doit être possible à certaines conditions éthiques : confidentialité et secret médical, recueil du consentement libre et éclairé pour tous les patients et tous les soins et indépendance des soignants.
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