BONHEUR ou bien-être. Ces deux notions commencent à faire entendre leur petite musique dans l’agenda politique. Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, a déjà, dans un rapport remis en septembre au président de la République, préconisé une meilleure prise en compte de la dimension subjective du bien-être dans la mesure du PIB. C’est maintenant au tour de la secrétaire d’État chargée de la prospective de tenter « d’amener dans le discours public la question du bien-être ». Le rapport qu’elle a demandé au Centre d’analyse stratégique, dirigé par René Sève, tente de dresser un état des lieux de la santé mentale des Français, entendue non pas comme l’absence de trouble psychique ou de maladie mentale mais dans une acception plus large qui englobe la détresse psychique ou la souffrance psychique (état de mal-être qui n’est pas forcément révélateur d’une pathologie ou d’un trouble mental) et la santé mentale positive.
Une dimension négligée.
Prônée par l’Organisation mondiale de la santé et l’Union européenne, « cette dernière dimension, longtemps négligée, recouvre l’estime de soi, les capacités d’adaptation, le sentiment de maîtrise de sa vie, etc. Tout comme la santé physique, elle est condition d’une vie réussie », précise le rapport.
Prenant à son compte la formule du sociologue Alain Ehrenberg selon laquelle « il n’y a pas aujourd’hui de santé, de bien-être ni de sociabilité équilibrée sans santé mentale », le rapport pousse à une évolution, trop longtemps retardée, de l’approche de la santé mentale, jusqu’ici trop réactive, fragmentée et sectorielle, strictement sanitaire ou médico-sociale. Le plan Psychiatrie et santé mentale (2005-2008) est d’ailleurs en cours d’actualisation à la suite du rapport Édouard Couty de janvier 2009.
Le Pr Viviane Kovess-Masféty, psychiatre et épidémiologiste à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESP), qui faisait partie de cette commission Couty, a présidé le groupe de travail mis en place au Centre d’analyse stratégique, où étaient représentés des experts des psychiatres, psychologues, épidémiologistes, statisticiens, sociologues, économistes mais aussi des représentants des associations de patients et de leurs familles.
Alors heureux ?
« La commande est futuriste et visionnaire », a souligné la présidente. « Nous ne pensions pas qu’arriverait si vite sur la scène politique l’idée que, sans la santé mentale, il ne peut y avoir de bien-être. » Le rapport fait le point sur un certain nombre d’idées reçues et de pistes d’action. À la question « Les Français sont-ils plus malheureux que leurs voisins européens ? » le rapport donne des éléments de réponses moins univoques que ne laisse supposer le constat maintes fois rebattu d’une France affichant depuis plusieurs années le plus haut niveau de consommation de psychotropes en Europe ou la récente vague de suicides qui a révélé au grand public la question émergente du stress et de la souffrance au travail. En effet, le suicide recule et représente moins de 2 % des décès et la dépression dans sa forme la plus sévère est stable autour de 3 %. « En revanche, la détresse psychologique a considérablement augmenté : elle a été multipliée par 3 en vingt ans et touche un Français sur 5 », souligne le rapport.
Une enquête, « Les Français et la santé mentale », réalisée en octobre 2009 auprès d’un échantillon de 1 000 personnes âgées de 15 ans et plus, montre, à rebours de différents indicateurs d’opinion, que 98 % des Français se disent heureux ou plutôt heureux dans leur vie. En revanche, la crise semble avoir un impact négatif sur leur moral : un tiers des Français se disent moralement affectés – d’autant plus qu’ils ont entre 45-49 ans (40 %), qu’ils sont travailleurs indépendants (44 %) – et la moitié sont inquiets pour leurs proches. Si 71 % des Français affirment que « leur bien être psychique ou psychologique ne dépend que d’eux-mêmes », ils estiment néanmoins (79 %) que la santé mentale doit devenir un objectif de l’action publique. Plus de la moitié fait la distinction entre « santé mentale » et « maladie mentale » même si bon nombre d’entre eux confondent les deux notions. De façon notable, la quasi-totalité déclare que le cercle des proches joue un rôle important dans le bien-être des individus mais estime que d’autres acteurs de la santé mentale sont essentiels : les médecins généralistes (92 %), les acteurs de l’environnement scolaire (85 %), des crèches et garderies (84 %), de l’entreprise (plus de 80 %).
Des groupes vulnérables.
Le rapport montre également que certains groupes sont plus exposés que d’autres : les jeunes (avec un pic d’anxiété chez les 15-19 ans), les actifs (avec un rajeunissement de la dépression) et les femmes sont les plus exposés. Le taux de suicide des 58 ans et plus est six fois plus élevé que chez les 15-24 ans. Intitulé, « La santé mentale, l’affaire de tous », il rappelle que les coûts directs et indirects de la mauvaise santé mentale sur l’économie (invalidité, accidents du travail, maladies professionnelles) ont été estimés entre 3 et 4 % du PIB par l’Union européenne. « La santé mentale n’est donc pas un luxe », relève Nathalie Kosciusko-Morizet avant de préciser encore « qu’un euro investi en prévention fait économiser sept euros à long terme de dépenses de justice, police et aide sociale ». Et pour ceux qu’une dérive normative inquiète, elle lance : « il n’est question ni de ministère de la santé mentale ni de monsieur santé mentale ».
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