« DOUZE ANS après le vote de la loi, dans certaines préfectures, l’accès au séjour pour soins est devenu un droit virtuel tant les pratiques administratives illégales se sont multipliées. » L’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) qui, déjà, en 2008, avait dressé un « bilan désastreux » de l’application de la loi censée protéger les étrangers malades, lance de nouveau un cri d’alarme. Dans son collimateur, la préfecture des Hauts-de-Seine. « Beaucoup de préfectures appliquent le texte de façon différenciée mais dans les Hauts-de-Seine a été mise en place depuis une dizaine de mois, une procédure qui vise à empêcher tout dépôt de dossier », témoigne Élodie Redouani, juriste à l’association ARCAT. Les associations membres de l’ODSE parlent de « procédure ad hoc » qui « méprise et détourne les textes législatifs et réglementaires ».
« J’ai moi-même accompagné une jeune Ivoirienne de 27 ans, atteinte du VIH, qui, conseillé par le médecin qui la suit à l’hôpital, avait déjà tenté de déposer une demande de titre de séjour. La préfecture l’avait orientée vers une demande de prorogation de visa, ce qui ne correspond pas au texte. En ma présence, l’adjoint au chef de service des étrangers s’est engagé à la reconvoquer et à réexaminer le dossier. Trois mois plus tard, et malgré de multiples relances, la jeune femme n’avait toujours pas eu de nouvelle de la préfecture. Au contraire, elle a fini par être interpellée et placée en garde à vue. Il a fallu l’intervention d’ARCAT pour qu’elle soit remise en liberté. Dans la foulée, elle a reçu une convocation pour déposer son dossier et environ 5 mois plus tard une carte de séjour lui était délivrée », raconte Élodie Redouani.
Multiples tracasseries.
Le cas n’est pas unique de ces patients en situation d’extrême précarité, sans-papiers, qui voient leur demande refoulée sous différents prétextes : refus d’instruire les dossiers, fausses informations données au guichet, violation du secret médical, demande de pièces justificatives non prévues par la loi. Les associations dénoncent les « dysfonctionnements graves », allant même jusqu’à « l’arrestation aux guichets » de ceux qui persistent à vouloir déposer leur dossier. Le Dr Pierre de Truchis, médecin hospitalier du département de médecine et maladies infectieuses de l’hôpital Raymond Poincaré (Garches) en témoigne. « Je m’occupe de patients suivis pour une infection VIH dont un certain nombre relève d’une procédure de titre de séjour pour soins. Il y a deux ans, certains de ces patients se sont fait interpeller par la police au moment du dépôt de leur dossier à la préfecture de Nanterre », raconte-t-il. Une telle procédure avait, selon le praticien, « délibérément été mise en place par la préfecture ». L’épisode ne s’est pas reproduit mais les tracasseries persistent, rendant illusoire l’accès au titre de séjour temporaire. Les demandes indues et répétées mois par mois, de justification d’adresse, impossible à obtenir dans le cas de ces populations qui ont des difficultés à être hébergés dans un endroit fixe. « Un patient tchadien a eu, il y a un an et demi, des problèmes de santé grave, raconte le Dr Truchis. Il a dû être hospitalisé à Garches. Depuis un an et demi, son dossier est refusé parce qu’il ne peut pas faire valoir une adresse en France et que la préfecture refuse qu’il soit domicilié à l’hôpital. Il n’a donc pas de titre de séjour alors qu’il a besoin de soins et il risque de se faire arrêter et reconduire à la frontière. » Le praticien signale aussi les ruptures de confidentialité : « Les patients ne reçoivent de dossier que s’ils acceptent d’ouvrir et de lire aux agents administratifs de la préfecture les certificats médicaux confidentiels que nous leur fournissons et qui sont censés être vus par le médecin inspecteur de santé publique de la DDASS. Sinon, les dossiers sont refusés. »
Dans le cas des patients VIH, cette rupture de confidentialité peut entraîner une peur de la stigmatisation aboutissant au refus de se faire régulariser. « Certains sont conduits à se cacher, à rester sur le territoire français de façon illégale. Un certain nombre ne se soignent pas », poursuit-il . En termes de prévention de l’infection à VIH ou de la tuberculose, c’est un échec. Quant à la prise en charge des malades, elle est de plus en plus difficile. « Les procédures à l’aide médicale d’État se sont compliquées dans le même temps, ce qui fait que les patients n’ont ni couverture possible et ni titre de jour », poursuit le Dr Truchis. Les praticiens, alors, « se débrouillent. En pratique, quand une hospitalisation est nécessaire, on la fait en urgence. On essaie de fournir les médicaments disponibles en stock ou qu’on fait payer par l’hôpital au titre du traitement des personnes précaires. ».
Objectif, dissuader.
Cette situation touche fréquemment des patients VIH du fait de l’épidémiologie particulière de la maladie – population migrante, précarisée, éventuellement en situation irrégulière –, elle existe pour d’autres maladies graves. L’objectif, selon les associations, est de « dissuader » toute demande de titre de séjour pour soins. Ce qui, de leur point de vue, semble être le cas. Les militants d’Aides témoignent que beaucoup de services hospitaliers ont « renoncé, compte tenu des obstacles rencontrés depuis plusieurs années, à orienter leurs patients étrangers vers la préfecture de Nanterre lorsqu’ils souhaitaient déposer une première demande d’admission au séjour pour soins, et tentaient désormais de domicilier des personnes ailleurs ».
Selon les données de la préfecture des Hauts-de-Seine, sur 500 demandes de régularisation en 2009, 58 % ont été accordées. L’institution récuse tout dysfonctionnement et affirme respecter les droits des étrangers malades. Elle reconnaît « qu’il arrive fréquemment que des documents à caractère médical soient communiqués, comme justificatifs, par le demandeur », en précisant que « ce n’est pas la préfecture qui exige la production de tels documents : c’est l’étranger qui, de sa propre initiative, communique les documents à caractère médical aux agents de la préfecture ». La préfecture indique également « qu’aucune interpellation aux guichets n’est réalisée sur la simple base d’un défaut de titre de séjour ».
Ce que dénoncent les associations, c’est une remise en cause quotidienne de la loi, dans les pratiques administratives et juridictionnelles, et le climat de suspicion qui règne autour des étrangers malades. Une note de février 2008 de la préfecture des Hauts-de-Seine rappelait d’ailleurs à ces agents « que l’éloignement des étrangers en situation irrégulière est une mission prioritaire de notre service : nous avons en ce domaine une obligation de résultat ».
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