« Nous, Français et musulmans, sommes prêts à assumer nos responsabilités. » Sous ce titre, une quarantaine de personnalités ont signé une tribune publiée en juillet dans le Journal du Dimanche, critiquant l'organisation actuelle de l'Islam de France, et appelant à relancer une fondation avec un projet d'organisation clair : « donner des sources de financement pérennes et transparentes aux mosquées, former et salarier des imams, faire le travail historique, anthropologique et théologique qui permet et permettra encore plus demain d'être français et musulman dans une République laïque. Et mener la bataille contre l'islamisme radical ».
Parmi les signataires, se trouvent six médecins* occupant d'éminents postes. Ils ont pris la plume cinq jours après l'assassinat du prêtre Jacques Hamel pour contrer tout amalgame, pour « répondre à la société française qui (demande) : mais où êtes-vous ? Que faites-vous ? ». Parce que chez certains, l'attentat a réveillé les souvenirs des années noires en Algérie.
Pour eux, la religion est d'ordre « privé, intime », selon les mots du Pr Beloucif. « À l'hôpital je ne suis ni homme ni femme, ni juif, ni catholique, ni musulman, je ne suis que médecin ! », résume le psychiatre addictologue Amine Benyamina. Et si d'aventure le sujet arrive sur le tapis, le Dr Madjid Si Hocine, en fait une force : « En tant que gériatre, je suis souvent confronté à la mort et Dieu. Je n'ai pas peur de la religion. Je fais parfois appel à des aumôniers, je connais les pratiques israélites. Parfois, cela me permet d'évoquer plus facilement le jeûne avec des patients affaiblis ».
Mais ils ont senti l'urgence de défendre la laïcité et plus largement, les valeurs de la République Française. « L'élément déclencheur fut la crainte de la fracture sociale à l'intérieur de la société. On a fait le sacrifice de notre intimité pour sauver la République, par addiction à la laïcité », explique le Pr Benyamina.
« C'est un combat sur des valeurs simples ; car le vivre ensemble est menacé ; car il n'y a aucune justification à la barbarie ; car la France est le pays des Lumières, et que j'y tiens », dit Madjid Si Hocine. « Nous faisons partie de l'élite de France. Notre maison commune est la France : il nous faut sortir du bois pour éteindre l'incendie. C'est aussi une façon de récuser le discours de certains politiques qui nous renvoient à "notre pays d'origine", qui nous traitent comme un corps étranger », analyse le Pr Rahmene Azzouzi, chef du service d'urologie au CHU d'Angers.
Prendre part à l'organisation de l'Islam
Les signataires de tribune dénonçaient en juillet « l'impuissance de l'organisation actuelle de l'Islam de France ». L'annonce de la création de la Fondation pour l'Islam de France a suscité de grands espoirs, certains se voyant même membre du Conseil d'Administration, pour organiser l'Islam, en promouvoir une image neutre, déliée du terrorisme, fédérer et parler à tous les musulmans dans leur diversité et plus largement à la société ; enfin, pour échapper au « piège du communautarisme », selon les mots du Pr Azzouzi.
Jusqu'à ce que la nomination de Jean-Pierre Chevènement à sa tête fasse grincer des dents, beaucoup y percevant des relents de colonialisme. « On ne ferait pas ça avec une autre religion. On reste dans un modèle hérité de l'histoire coloniale, loin de ce qu'on se doit d'avoir pour parler aux jeunes, aux cités, aux médias », déplore le Dr Si Hocine. « Comme si les musulmans n'étaient pas capables de s'organiser », s'agace le Pr Benyamina. « Ces politiques doivent cesser de se penser immortels », s'exaspère le Pr Azzouzi.
Quelle interprétation de la laïcité ?
Si cette élite montre un visage uni (et masculin) des musulmans, défendant une même interprétation de la laïcité, la confiance en l'avenir des plus jeunes semble plus fragile. « Il peut y avoir un fossé entre une élite musulmane dont font partie les médecins et le reste des musulmans » observe le Dr Yamina Ladjici, chirurgienne à l'hôpital Avicenne.
Élevée avec l'idée que les diplômes effacent les religions et surtout les discriminations, le Dr Ladjici fut choquée qu'après Charlie, des musulmans « pas forcément diplômés » ne se soient pas sentis « concernés » en tant que citoyens Français. « Comment se fait-il que des jeunes puissent penser ainsi ? C'est un signe d'échec quant à la transmission des valeurs de la République »; se désole-t-elle.
Mais cet été, le Dr Ladjici a ressenti pour la première fois la stigmatisation et le racisme lorsqu'en pleine polémique autour du Burkini, surgissent les images de 4 policiers interpellant une femme en tunique sur une plage. « On tape sur des musulmans alors qu'il y a tellement d'autres problèmes sociétaux. Cela risque de nourrir la violence et l'extrémisme », s'émeut-elle. Un sentiment partagé par un interne en radiologie de 27 ans. « On se dit : ça aurait pu être notre mère ! »
À leur manière, ces jeunes s'astreignent à être exemplaires. « Que ce soit à l'égard des patients ou des collègues, je ne mets jamais en avant mon Islam, pas un mot d'arabe ne m'échappe. Pour me protéger », explique le Dr Ladjici. « Je n'ose pas prendre des jours pour l'Aïd, je n'affiche pas le fait que je fais le ramadan », dit aussi l'interne. « Je m'efforce d'être bienveillant et excellent, surtout à l'égard de potentiels détracteurs, à qui je veux prouver qu'être musulman n'est pas ce qu'ils pensent », poursuit-il.
Membre de la jeune Organisation musulmane des acteurs de santé (OMAS), le jeune médecin constate que les étudiants musulmans sont de plus en plus nombreux. « Il n'y a aucune volonté de repli. Sauf en cas d'attaque politique », explique-t-il. En ce sens, les travaux actuels autour de la laïcité ne le rassurent pas franchement : « La charte est contre l'Islam, la laïcité à l'hôpital a été créée en direction des musulmans ! Voile/pas voile, les jeunes filles risquent de se sentir stigmatisées » estime-t-il.
*Pr Rahmene Azzouzi, Pr Sadek Beloucif, Pr Amine Benyamina, Pr Mohamed Ghannem, Dr Madjid Si Hocine, Pr Faiez Zannad.
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