« Tout a commencé par l’appel d’un médecin », se souvient François Hers, au sujet du programme lancé par les Nouveaux Commanditaires à l’hôpital de Garches. Le Dr François Paraire, prenant le relais des équipes de l’institut d’anatomo-pathologie et de la direction de l’établissement, constatait que la morgue était dans un état lamentable. Dans une société multiconfessionnelle, seul un artiste, selon lui, était en mesure d’inventer une forme de relation digne à la mort et de donner ainsi une nouvelle dimension à ce lieu dégradé. La clé de la réussite, pour cette commande comme pour toutes les autres, sera donc venue d’une plainte exprimée par les protagonistes sociaux, sur un enjeu sociétal, en l’occurrence la prise en charge des défunts et leur présentation aux familles. « C’est à partir de l’expression des professionnels, en écoutant leur souffrance, insiste François Hers, qu’a débuté la mise en oeuvre du Protocole des Nouveaux commanditaires en milieu hospitalier ». Une médiatrice habilitée par la Fondation de France a été désignée. Sur cette scène de l’art pour le moins improbable, elle a auditionné les personnels du service, les dirigeants de l’AP-HP, les responsables des services culturels de la DRAC. Elle a aussi réuni les budgets nécessaires, tandis que de leur côté, pour les recevoir et les gérer, le Dr Paraire, son chef de service et la directrice de l’hôpital, créait une association.
Faire œuvre ensemble
Le rôle du médiateur est aussi de proposer l’artiste le mieux à même de répondre à la commande, en l’occurrence le peintre italien Ettore Spalletti. Ce dernier, tout d’abord déconcerté par le sujet et la diversité des acteurs sociaux, s’est senti tenu d’accepter une responsabilité qui mettait en jeu son rôle, fondamental, de créateur. Un rôle à la fois solitaire et à l’écoute des commanditaires. « Comme il se rendait sur le site, raconte François Hers, il a découvert un vase en plastique, positionné par un garçon de salle pour les fleurs apportées par une famille. Au lieu de protester, Spalletti a compris qu’il avait négligé ce point et n’avait pas assez travaillé son sujet. Il a revu son œuvre et y a inscrit des vases en marbre qu’il a dessiné et offert. C’est ainsi avec les Nouveaux commanditaires : tout le monde écoute tout le monde. Les artistes, souvent de très grande renommée, d’ordinaire confinés dans les musées et les galeries, adorent faire œuvre avec les commanditaires, intervenir non pas dans le consensus, mais dans le dissensus, en tension, d’autant qu’il peut être géré par un médiateur dont c’est également un des autres rôles. Faire œuvre ensemble, chacun assumant ses responsabilités propres, a également permis aux équipes médicales d’assumer pleinement leur rôle de commanditaires exprimant une question de société qui devait être prise en compte. »
Avec des équipes soignantes très engagées
Est-ce parce que les hôpitaux sont des lieux où s’exacerbent le sentiment d’urgence et l’angoisse de la maladie, avec des sensations à vif, toujours est-il que les Nouveaux commanditaires y sont plus souvent mis à contribution que dans d’autres espaces publics, note François Hers. Et à chaque fois, c’est par la prise de conscience et l’engagement des équipes soignantes et médicales, ces nouveaux commanditaires, que prennent corps les œuvres.
Ainsi, à l’unité de soins palliatifs des Diaconesses - Croix Saint Simon, à Paris, le personnel soignant, constitué en groupe de commanditaires, a interpellé le médiateur de la Fondation de France autour d’une notion si importante pour les personnes en fin de vie, le temps ; l’artiste sollicité, le designer Matthieu Lehanneur, a conçu le programme « demain est un autre jour » : chaque patient choisit un lieu géographique et, dans sa chambre, un disque lumineux va visualiser le temps que la météo y prévoit pour le jour d’après. Une manière de garder jusqu’au bout les personnes dans les rythmes de la vie. Vivantes jusqu’à la mort.
Au cœur du dialogue multiconfessionnel
Ainsi encore, à l’Institut anticancéreux Paoli Calmettes de Marseille, avec une chapelle catholique guère fréquentée dans cette métropole où sont recensées pas moins de 176 sensibilités religieuses et qu’il avait été décidé de déplacer ou supprimer pour travaux. « En accord avec le directeur, à l’époque le Pr Dominique Maraninchi, la responsable de l’aumônerie catholique a créé un groupe de commanditaires pour la création d’un lieu de recueillement et de prières multiconfessionnel. Ils ont fait appel à une médiatrice des NC », témoigne le Pr Jacques-Louis Binet, membre de trois académies, médecine, beaux-arts et architecture ; cette médiatrice a engagé le dialogue avec les commanditaires, l’aumônière, une infirmière bouddhiste, un infirmier musulman, un médecin juif, et d’autres membres des équipes, y compris ceux qui étaient étrangers à toute tradition religieuse. Un artiste célèbre a planché, Michelangelo Pistoletto, qui a conçu un espace de recueillement pour les différentes religions et les agnostiques, autour d’un mètre cube d’infini, une œuvre qu’il avait créée dans les années 1960. « Lors de l’inauguration, raconte le Pr Binet, un prêtre célébrait la messe tandis qu’un musulman priait tourné vers La Mecque. Et aujourd’hui, les familles, croyantes ou pas, les membres des équipes soignantes, confrontés les uns et les autres aux horreurs de la maladie, viennent se poser là un moment, c’est redevenu un lieu fréquenté. Les NC ont gagné. Pourquoi ne multiplierait-on pas cette expérience dans tous nos hôpitaux, en particulier à l’AP-HP », propose l’ex-chef du service d’hématologie de La Pitié.
Prendre en charge les drames existentiels
C’est le défi, parmi d’autres, lancé par les NC. « Si ce n’est pas la religion, considère François Hers, je ne vois pas qui d’autre, dans le corps social, sinon l’artiste, peut donner des formes à la spiritualité et répondre aux souffrances ressenties par les personnels, en écho à celles des patients ? Que ce soit pour un centre anticancéreux, un service de soins palliatifs, ou une morgue, pour ces espaces affrontés aux drames existentiels, les NC ont des propositions à faire. Il faut dire aux médecins qu’aujourd’hui un dispositif existe pour répondre au mal-être ressenti dans les équipes face aux échéances de vie et de mort. Depuis quelques années, les médecins sont nombreux à venir voir nos œuvres. À eux maintenant de relever les enjeux latents au sein de leurs propres services, d’aider à la prise de conscience des soignants, de susciter les prises de parole et le passage à l’acte pour prendre en compte les dimensions culturelles majeures liées à leur activité technique. »
« C’est vrai, plaide avec réalisme le Pr Binet, nous sommes soumis à d’énormes contraintes, le temps nous manque, les budgets sont sous tension. On peut juger plus urgent d’avoir le dernier appareil de radio. Et il en est des médecins comme des ingénieurs ou des pilotes, certains aiment l’art, d’autres ne s’y intéressent pas. » Et François Hers de souligner : « Certes, les artistes ne sont pas des aides-soignants mais leurs œuvres ont toujours aidé les hommes à s’inscrire dans le monde ou à en faire le deuil. »
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