La feuille de route sur les maladies neurodégénératives, publiée début juin, leur doit beaucoup. Le Pr Alain Grand (Toulouse) et Yves Joanette (Montréal) avaient évalué le plan 2014-2019. Leur rapport, qui plaide pour des mesures moins nombreuses mais plus efficaces, a servi de base aux nouvelles orientations. Entretien croisé.
LE QUOTIDIEN : Votre rapport fait part des difficultés à évaluer le plan maladies neurodégénératives (MND) 2014-2019 qualifié de « complexe ». Est-ce à dire que son ampleur lui a fait perdre en pertinence ?
Pr ALAIN GRAND (A.G.) : C’est là une première critique que l’on peut formuler : ce plan embrassait trop de dimensions différentes. Nous avons donc proposé l’idée d’une feuille de route pour sortir de cette logique de plans qui s’empilent et deviennent de plus en plus des outils de communication et de moins en moins des outils de planification. L’objectif est d’être moins ambitieux, mais plus concret et efficace.
Avec le recul, l’agrégation de trois pathologies – Alzheimer, Parkinson et sclérose en plaques (SEP) – a-t-elle un sens ?
YVES JOANETTE (Y.J.) : La maladie d’Alzheimer ne représente que 60 % des syndromes neurocognitifs majeurs. Il y a une logique à regrouper les MND car plusieurs problématiques sont communes, notamment celle du proche aidant.
A.G. : L’interrogation persiste quant à la logique : la SEP et la maladie de Parkinson sont traitées séparément dans les 10 axes et les 18 fiches de la feuille de route. La problématique de la SEP chez le patient jeune n’est pas la même que celle du dément en perte d’autonomie. Les associations sont ambivalentes. D’un côté, elles craignent que ne soient pas prises en compte les spécificités des pathologies respectives, mais de l’autre elles restent favorables à une mise en commun des ressources.
Avez-vous le sentiment que vos recommandations ont été entendues ?
Y.J. : Le fait que ce soit une feuille de route et non pas un plan est déjà un signe que oui. Nous avions fait des recommandations, non pas sur des mesures précises, mais sur la méthode à adopter : impliquer les associations, faire collaborer différents spécialistes mais aussi équilibrer les efforts pour la recherche et le soin avec le soutien psychosocial des aidants.
Outre la prévention, un autre point très important de la feuille de route est l’amélioration du séjour hospitalier. Les hôpitaux sont encore pensés pour accueillir des gens jeunes avec un problème de santé à traiter en urgence. Le vieillissement de la population fait que beaucoup de gens arrivent à l’hôpital avec un trouble neurocognitif principal et des comorbidités associées. Les soignants sont assez dépourvus devant la difficulté de communiquer avec ces patients.
A.G. : Une autre recommandation est de faire levier sur les autres plans comme le plan Grand âge et autonomie. Je déplore la multiplication des plans et notre idée est de s’assurer que les quelques mesures qui seront implémentées auront un impact significatif. Pour cela, il faudra les expérimenter soigneusement et s’assurer des possibilités de les installer en routine et de les généraliser à l’ensemble de la population concernée.
Les expérimentations ont été nombreuses lors du précédent plan MND.
Que leur a-t-il manqué ?
A.G. : Nous n’avons pas vraiment de culture de l’évaluation en France. Il y a beaucoup de bonnes idées, leur mise en œuvre est le plus souvent limitée dans le temps et dans l’espace. On omet généralement de mesurer la capacité d’installer dans le temps les actions expérimentées et de les étendre à l’ensemble du territoire. Par exemple, pour estimer l’intérêt d’installer des psychologues dans les services de soins infirmiers à domicile, il faut aller jusqu’à imaginer et tester un « business plan » pour s’assurer de la pérennité et des possibilités de généralisation.
La feuille de route propose de mener davantage d’expérimentations, j’ai peur qu’il s’agisse de nouveau de tentatives incomplètes. Les agences régionales de santé (ARS) sont des relais avec un budget propre, mais on a l’impression que cela se traduit par un fractionnement et un déficit de réflexion globale sur la généralisation et l’installation en routine.
La recherche semble occuper une place modeste dans la feuille de route.
Comment cela s’explique-t-il ?
A.G. : Je pense que les efforts de recherche seront en réalité plus importants que ne le laisse penser la place occupée dans le texte. Outre l’amélioration de l’accès à la base de données nationale française Alzheimer de l’axe 4, il y a l’effort en Europe pour la valorisation des bonnes pratiques de l’axe 7, ce qui constitue un domaine de recherche très important.
Y.J. : Je n’ai pas vu de choses précises sur l’équilibre de recherche entre les causes de la maladie et leur éradication, la prise en charge et le soutien psychosocial des aidants et des malades. J’aurais préféré que ce soit mieux explicité. J’ai l’impression que l’apport des sciences humaines et sociales sur la qualité de vie n’est pas mis en avant comme il devrait l’être.
Plusieurs mesures tournent autour de la formation des médecins de ville et la délégation de tâches de l’hôpital vers la ville. La prise en charge est-elle trop hospitalo-
centrée en France ?
A.G. : Il y a une vraie discussion à mener en France sur les infirmières en pratique avancée. Le système de formation a été mis en place sans avoir de réflexion globale sur leur rôle dans la prise en charge et la fluidité des parcours. À ce titre, les MND pourraient servir de terrain d’expérimentation.
Y.J. : Les milieux hospitalo-universitaires ne suffiront pas à absorber tous les malades à venir. Au Québec, la plupart des médecins de famille sont organisés en groupes avec des infirmières cliniciennes formées à l’identification des troubles neurocognitifs. Le réseau de ville est aussi là pour traiter toutes les pathologies non neurologiques associées.
A.G. : Les niveaux de financement et de structuration des centres experts sont très disparates. Il est fort possible qu’il soit nécessaire de redistribuer les rôles : s’il y a une montée en puissance du premier recours, les centres pourront se redéployer sur des activités de recherche, des diagnostics plus spécialisés ou des prises en charge plus développées.
La prise en charge du patient jeune est mise en avant. Quels sont les enjeux ?
Y.J. : La maladie a un côté insidieux et progressif, mais il doit être possible de maintenir une personne en activité. Au Québec, la capacité d’une personne atteinte de démence à réaliser les tâches requises par son emploi est réévaluée périodiquement pour la période où la personne affectée peut encore poursuivre partiellement son travail, et une subvention compensatoire peut dédommager l’entreprise pour des tâches qu’elle ne peut plus remplir ou qu’elle remplit moins bien. C’est plus satisfaisant qu’une rente pour compenser la perte d’emploi.
A.G. : Il y a eu beaucoup d’avancées : un volet est spécifiquement consacré aux personnes jeunes. Des réseaux de soins existent, comme celui de l’Occitanie Ouest, fondé par le Pr Michel Clanet. Là encore, il manque une vision globale. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie pourrait être un acteur de diffusion des bonnes pratiques en France.