Faute de validation scientifique, les médecines non conventionnelles divisent la profession, de l'Ordre aux collectifs scientifiques, des Académies aux facultés, sans parler de la toute nouvelle agence déjà critiquée. Pourtant, tous sont d'avis qu'il y a une place à leur faire dans les soins.
À quand un consensus autour des médecines complémentaires ? Pour l'heure, les positions au sein de la communauté médicale et scientifique divergent, voire s'affrontent. Un brouhaha bien dommageable, alors que « 72 % des Français jugent important de pouvoir recourir aux médecines non conventionnelles », d'après une étude BVA début novembre. Et près de 4 Français sur 10 y auraient recours, selon France Assos Santé.
Produits naturels (phytothérapie, aromathérapie...), techniques de manipulation (ostéopathie, chiropraxie...), approches corps-esprit (yoga, sophrologie, méditation...), acupuncture, homéopathie, les médecines alternatives recouvrent un champ très vaste. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recense plus de 400 disciplines. En France, l'Ordre des médecins reconnaît seulement quatre médecines alternatives et complémentaires pouvant faire l'objet de titres et mentions autorisés sur les plaques et ordonnances. À savoir : l'homéopathie, l'acupuncture, la mésothérapie et l'ostéopathie. En 2015, 6 115 médecins (les 3/4 en médecine de ville) auraient ainsi déclaré une orientation de ce type.
Même dans ce cadre restreint, la validation scientifique coince. Dans un communiqué commun début 2019, les Académies de médecine et de pharmacie appelaient au déremboursement de l'homéopathie (effectif début 2021) et à ce « qu'aucun diplôme universitaire ne soit délivré par les facultés de médecine ou de pharmacie », tout en reconnaissant qu'il puisse être éthique d'en administrer dans certaines situations sans perte de chance.
Peu de preuves scientifiques
« Depuis 200 ans qu’elle existe, l'homéopathie n’a pas démontré la moindre preuve de son efficacité au-delà du placebo, affirme Cyril Vidal, président du collectif FakeMed et chirurgien-dentiste. Son maintien dans la formation n’a aucun sens. Pour la mésothérapie, nous dressons à ce stade le même verdict. » Le collectif concède une efficacité de l’acupuncture dans un périmètre limité : la prévention de la nausée post-chimiothérapie. « Pour la douleur, le niveau de preuve est faible, affirme Cyril Vidal. Et sur 70 pathologies étudiées, l’acupuncture n’a démontré aucune efficacité. » Quant à l’ostéopathie, selon lui, les études sont contradictoires (lombalgies, cervicalgies), voire inexistantes (ostéopathie crânienne ou viscérale).
D'autres voix s’élèvent contre les thérapies non conventionnelles. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), dont 39 % des saisines concernent la santé, a alerté en juillet sur l'augmentation des risques d'embrigadement avec la pandémie. Et les passes d’armes se répercutent en justice, comme à Strasbourg où, pour avoir pourfendu sur son blog la médecine anthroposophique, un courant ésotérique prônant les médecines douces, le philosophe Grégoire Perra a fait l’objet d’une plainte pour diffamation de la part d’une association de praticiens adeptes, avant d'être relaxé en octobre avec dommages et intérêts.
De son côté, le gouvernement peine à se positionner. L'agence des médecines complémentaires et alternatives (A-MCA), créée en 2020 avec le soutien de Cédric Villani, président de l'Office parlementaire de l'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), n'a pas été adoubée par les autorités publiques. Pire, elle s’est rapidement vue accusée d’être un lobby pro « pseudo-médecines ». Et dans un communiqué publié en juillet, l'Académie de médecine écrit en creux qu'il ne s'agit pas d'une agence, « dans la mesure où l’usage réserve ce titre à un organisme public indépendant ». Quant à l'Académie de pharmacie, elle explique que le rôle d'évaluateur en ce domaine doit échoir à l'Agence du médicament (ANSM). « On donne du crédit à des approches coûteuses, inutiles au plan médical, avec à la clef des refus ou retards de soins », déplore Cyril Vidal.
« Porosité » des facultés
Du côté des facultés de médecine, et bien que l’Académie de médecine recommande que « les thérapies complémentaires doivent y être enseignées », il n'y a aucune homogénéisation. À tel point que chaque été depuis 2018, le collectif FakeMed distribue des « mauvais points » aux différentes universités selon leurs politiques (diplômes universitaires, position du doyen, consultation hospitalière). Celles qui affichent la plus grande « porosité » aux « pseudo-médecines » remportent une « anti-palme ».
En 2021, les facultés de Lyon Sud, Paris 13-Bobigny et Strasbourg remportent l'anti-palme du classement, notamment à cause de formations dites qualifiantes en homéopathie, acupuncture et mésothérapie. À l’opposé, des bons élèves d'Angers, de Saint-Étienne et de l’université catholique de Lille.
Pourquoi de tels contrastes ? « Si le doyen ne décide pas seul, sa personnalité a un vrai poids », affirme Cyril Vidal, citant en exemple la rigueur du Pr Patrick Hautecoeur de l’université catholique de Lille ou les positions explicites du Pr Nicolas Lerolle à Angers. À l’autre pôle, le représentant des anti-FakeMed pointe du doigt les choix de Strasbourg, l'unique faculté à « carrément proposer un séminaire de médecine anthroposophique ».
« Le collectif FakeMed mélange tout, se défend le Pr Jean Sibilia, doyen de la faculté strasbourgeoise. Il y a d’un côté l’acquisition de la culture scientifique par la formation professionnalisante, et de l’autre des cours pour stimuler intellectuellement. » Le rhumatologue, qui estime enrichissant de s’intéresser à des « connaissances frontières », précise « que le séminaire de médecine anthroposophique à Strasbourg est organisé dans un centre de formation continue de l’université, pas à la faculté de médecine ». Le président des doyens, le Pr Patrice Diot, estime qu' « il vaut mieux, peut-être, contenir certains enseignements dans les facs que de les laisser sortir en roue libre ».
Les médecines douces restent en attente de reconnaissance, si ce n'est scientifique, au moins officielle. L'Académie de médecine demande ainsi « aux pouvoirs publics d’assumer pleinement leurs responsabilités d’encadrement des pratiques de soins dans notre pays » tout en recommandant « un effort substantiel de travaux scientifiques », ainsi qu’« une homogénéisation et une crédibilisation de l’offre de formation dans ce domaine ». Le Pr Diot planche sur une harmonisation des enseignements des médecines douces. « Il serait souhaitable d’avoir non pas une doctrine, mais une position globale. Il faut éviter d’être dogmatiques, estime le pneumologue. Certaines médecines douces sont implantées dans des systèmes de soins, y compris dans des centres hospitaliers universitaires, notamment l'hypnose. »