L'Académie nationale de médecine (ANM) appelle à une meilleure prise en charge globale des migrants en France, estimant que leur situation sanitaire est un enjeu de santé publique insuffisamment pris en compte, dans un rapport présenté ce 26 février.
Ce document est l'aboutissement de deux années d'auditions du groupe présidé par le Pr Marc Gentilini, professeur émérite de maladies infectieuses et tropicales et président honoraire de l'ANM. Il formule huit recommandations à l'intention des pouvoirs publics. « Il n'y a pas de solution unique ; il s'agit de recommandations pragmatiques pour répondre à une situation mouvante », a introduit le Pr Gentilini.
Pathologies psychiques, infectieuses, chroniques…
Les données épidémiologiques manquent sur la situation sanitaire des migrants et l'Académie plaide pour développer la recherche dans ce domaine, notamment au sujet des femmes enceintes et des mineurs isolés.
Les données publiées par Santé publique France en 2017 ont déjà révélé que la santé des migrants est fragilisée par leur parcours mais aussi par leurs conditions de vie à leur arrivée en France. Ils présenteraient six fois plus de troubles mentaux que la population générale, ainsi que de plus forts taux de prévalence pour les addictions, les infections (hépatites, VIH, tuberculose), et les pathologies chroniques, notamment liées à une mauvaise nutrition.
Quant aux enfants, ils souffrent des problèmes liés à des carences nutritionnelles (anémie, surpoids) mais aussi de troubles neurodéveloppementaux, selon le Pr Albert Faye, chef de service de pédiatrie à l'hôpital Robert-Debré et membre du groupe de travail. Quelque 700 familles dormiraient à la rue chaque soir en France.
Rappel au serment d'Hippocrate
Parmi les recommandations, l'Académie préconise de « remémorer aux praticiens leur devoir de prendre en charge tous les patients conformément au serment d'Hippocrate, quelles que soient les difficultés rencontrées ». « Il y a encore 10 % de refus de soin », déplore la secrétaire du groupe de travail, la Dr Dominique Kerouedan. La médecin et juge assesseur à la Cour nationale du droit d'asile à Paris préconise en outre de mieux faire connaître les recommandations du ministère de la Santé de juin 2018 sur le parcours de santé des primo-arrivants.
Trop méconnues aussi, les permanences d'accès aux soins de santé (PASS), créées en 1998, et la prise en charge holistique (médicale, psychologique et psychiatrique, sociale et administrative) du patient qu'elles proposent devraient être valorisées et recevoir des moyens supplémentaires, considère l'Académie. Actuellement, 400 PASS fonctionnent dans les hôpitaux grâce à un budget de 70 millions d'euros par an. « Les migrants, souvent des primo-arrivants, sans droits, sont devenus le premier public des PASS » destinées plus largement à recevoir tout patient en situation de précarité, observe la Dr Claire Georges-Tarragano, présidente de la Fédération des PASS et auditionnée par l'Académie.
Clarifier la place des médecins dans les procédures
L'Académie de médecine recommande de réaffecter au ministère de la Santé l'évaluation des critères médicaux en vue de l'obtention d'un titre de séjour pour soins. Depuis 2017 celle-ci a été confiée aux médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), sous la tutelle du ministère de l'Intérieur, et non plus aux médecins des agences régionales de santé (MARS). « Nous pensons que les médecins sont plus à leur place sous la tutelle du ministère de la santé », assure le Pr Gentilini.
Selon le Défenseur des droits (DDD), également auditionné par l'Académie, ce changement a entraîné des délais d'instruction plus longs et une réduction des avis favorables à l'attribution d'un titre de séjour pour maladie de 75 % à 50 %. Le DDD regrette aussi que les ressources documentaires sur lesquelles se fonde le collège de trois médecins de l'OFII pour évaluer la recevabilité d'une demande (notamment la disponibilité des traitements à l'étranger) ne soient pas rendues publiques. Un avis nuancé par la Dr Claire Georges qui constate sur le terrain davantage de rigueur et moins d'arbitraire grâce à la collégialité de la décision.
L'Académie rappelle par ailleurs dans son rapport que la détermination de l'âge des jeunes se déclarant mineurs ne devait pas reposer sur la pratique des tests radiologiques et/ou biologiques.
Sur le plan national et international, l'Académie entend inciter le gouvernement français à faire réviser le Règlement de Dublin, qui oblige un réfugié à déposer une demande d'asile dans le premier pays de l'Union européenne qu'il rencontre. Elle demande la réduction des délais des procédures de régularisation et de rétention administrative, la création d'une protection maladie universelle (avec fusion de l'AME et de la PUMa), immédiate et inconditionnelle, et la mise à disposition d'un hébergement décent pour tout demandeur d'un titre de séjour en France, qui devrait pouvoir aussi avoir accès aux soins (examen médical, dépistage, vaccinations, planning familial), si besoin avec interprétariat.
Guyane : circulation silencieuse du poliovirus, la couverture vaccinale insuffisante
La néphroprotection intrinsèque aux analogues de GLP-1 clarifiée
Choléra dans le monde : moins de cas, plus de décès et pénurie de vaccins, une situation « profondément préoccupante » pour l’OMS
Traitement de la dépendance aux opioïdes : une meilleure observance pour la méthadone