L'expansion d'une lignée parasitaires très résistante aux antipaludéens en Asie du Sud-Est met en échec la dernière bithérapie utilisée en première intention, la combinaison dihydroartemisinine/pipéraquine (DHA/PPQ). Une situation qui requiert en urgence le développement d'autres thérapeutiques, alertent des chercheurs dans deux articles publiés dans « The Lancet Infectious disease ».
Dans un premier papier, les auteurs montrent, à partir de l'analyse de 1 673 génomes de Plasmodium falciparum, comment une lignée de parasites présentant une double mutation (KEL1/PLA1), conférant une résistance à l'artémisinie et à la pipéraquine, a émergé au Cambodge et s'est propagée dans toute la région en une dizaine d'années.
80 % des parasites mutés au Nord-Est de la Thaïlande
Avant 2009, la mutation KEL1/PLA1 n'était observée qu'au Cambodge. Puis, sa prévalence a augmenté autour des années 2016-2017, jusqu'à concerner 50 % des parasites présents dans les pays voisins (à l'exception du Laos). Cette hausse rapide est particulièrement remarquable dans le Nord-Est de la Thaïlande et du Vietnam, où 80 % des parasites P. Falciparum sont porteurs de la mutation KEL1/PLA1, ce qui correspond à un remplacement presque complet des populations indigènes.
En outre, au sein de cette lignée, les chercheurs ont observé le développement de six sous-groupes porteurs de nouvelles mutations sur le gène CRT, qui rendent le parasite encore plus résistant à la PPQ.
Les chercheurs relient l'expansion de cette mutation à l'exposition continue des parasites à la bithérapie DHA-PPQ, introduite comme traitement de première ligne au Vietnam en 2004, puis au Cambodge entre 2008 et 2016 et en Thaïlande depuis 2015.
Selon Didier Ménard, chef du groupe Génétique du paludisme et résistance de l’Institut Pasteur, d'autres hypothèses peuvent expliquer l'essor de l'antibiorésistance en Asie, zone de faible transmission. Les personnes présentent une immunité moindre et une traduction plus symptomatique de la maladie qui implique un besoin accru de traitements. La diversité génétique des populations de parasites en Asie est également moins importante en Asie qu'en Afrique : un mutant peut donc s'imposer plus facilement. Enfin, la contrefaçon des antipaludéens est un facteur facilitant l'antibiorésistance.
Mise en échec de la dernière génération d'ACT utilisée
Conséquence de cette dernière, le traitement par DHA-PPQ se solde par un échec dans la moitié des cas dans le Sud-Ouest du Vietnam, dans 67 % des cas dans l'Ouest du Cambodge et dans 87 % des cas dans le Nord-Est de la Thaïlande, décrivent les auteurs du second papier.
« Ces résultats inquiétants indiquent que le problème de la multirésistance à Plasmodium falciparum s'est considérablement aggravé en Asie du Sud-Est depuis 2015 », déclare le professeur Olivo Miotto du Wellcome Sanger Institute et de l'Université d'Oxford, co-signataire des deux études. « On pensait que DHA-PPQ était la thérapie combinée à base d'artémisine (ACT) qui allait éliminer le paludisme dans cette région - et qu'on aurait pu utiliser dans certaines stratégies en Afrique », rappelle le Dr Ménard, pour dire la portée de la déception. Sans oublier la crainte d'une propagation de ces parasites en Afrique, continent qui concentre plus de 90 % des 200 millions de cas annuels de paludisme.
Plaidoyer pour l'abandon de la combinaison DHA-PPQ
« Au vu de sa faible efficacité, la combinaison de première ligne DHA-PPQ ne doit plus être utilisée pour le traitement du paludisme à P. Falciparum dans la sous-région orientale du Grand Mékong (Cambodge, Sud de la Chine, Laos, Birmanie, Thaïlande et Vietnam) », concluent les chercheurs, même là où l'antibiorésistance n'est que très récente.
« Cela signifie aussi qu'un médecin français qui reçoit un patient de retour d'Asie du Sud Est avec une infection palustre ne doit pas lui proposer la combinaison DHA-PPQ », ajoute le Dr Ménard.
En Asie, une première alternative consiste à revenir à la combinaison artésunate-mefloquine, comme l'a fait le Cambodge, lit-on dans « The Lancet infectious disease ». Mais le parasite risque de s'adapter de nouveau.
À moyen terme, une trithérapie (triple ACT) associant l'artémisinine à deux médicaments au lieu d'un, la pipéraquine et la méfloquine, est très attendue. Les résultats préliminaires de l'essai TRACII, prévus cette année, montrent que cette stratégie « est pleinement efficace en Thaïlande, au Cambodge et au Vietnam », soulignent les chercheurs. « Et à long terme, nous espérons voir arriver de nouvelles molécules. Mais cela ne sera pas avant 6 ou 7 ans », conclut le Dr Ménard.
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