Pour un déconfinement prudent, l’Académie de médecine plaide pour une surveillance de la dynamique épidémique par les eaux usées

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Publié le 30/06/2020
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Crédit photo : PHANIE

Inquiète de la perspective d’une deuxième vague de l’épidémie de Covid-19 l’Académie de médecine recommande de renforcer la surveillance par un programme de contrôle des eaux usées « destiné à localiser les collectivités entretenant une circulation du SARS-CoV-2 », mais aussi « d’intensifier les dépistages dans les collectivités à risque (établissements de santé, entreprises, abattoirs, hébergements de personnes en situation de précarité, etc.) ».

Si les indicateurs épidémiologiques (nouveaux cas confirmés, hospitalisations, passages en réanimation et décès) sont encourageants, l’Académie rappelle que le virus circule toujours en France avec 272 foyers (clusters) détectés entre le 9 mai et le 24 juin et s’inquiète d’un relâchement de la population dans l’application des mesures barrière (distanciation physique, lavage des mains, port du masque).

Une accélération au niveau mondial

Cette inquiétude est amplifiée par le contexte international : pandémie toujours en phase d’accélération, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), explosion des cas en Amérique latine, reconfinement partiel en Allemagne et au Portugal. « Ce contexte international inquiétant et le relâchement général observé dans les grandes agglomérations françaises, notamment le 21 juin à l’occasion de la fête de la musique, font craindre un passage en scénario 2 [établi par le Conseil scientifique, N.D.L.R.], soit l’apparition d’un ou plusieurs clusters critiques, signes d’une reprise locale de l’épidémie », alerte l’Académie.

Afin d’éviter ce scénario, elle plaide en faveur d’un réseau de surveillance des eaux usées. En avril, une étude, menée par le laboratoire de la régie municipale Eau de Paris, en collaboration avec Sorbonne Université et l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), avait démontré l’intérêt de la surveillance des eaux usées comme outil fiable pour le suivi de l’épidémie. L’analyse de prélèvements issus des stations d’épuration permettrait un suivi localisé, complémentaire de la stratégie de dépistage.

Un tel dispositif a déjà été initié dans le cadre du projet Obépine (observatoire épidémiologique dans les eaux usées), monté dans la suite de l’étude d’avril, avec l’aval du Comité analyse recherche et expertise (Care) qui conseille les autorités et une enveloppe de 500 000 euros accordée par le Ministère de la recherche pour développer les plateformes techniques nécessaires.

Environ 70 stations d'épuration déjà actives

« L’ambition est de mettre en place avant l’été un réseau de surveillance, un réseau sentinelle, déployé à l’échelle nationale via une centaine de stations d’épuration, réalisant deux prélèvements par semaine, détaille le Pr Vincent Maréchal, virologue à Sorbonne Université, qui participe au projet. Environ 70 stations sont déjà intégrées et des protocoles techniques normalisés sont mis en place. »

Associant au départ le laboratoire Eau de Paris, trois équipes de recherche de Sorbonne Université (mathématique, virologie, hydrologie) et l’IRBA, le projet fédère actuellement des équipes des universités de Lorraine et de Clermont-Auvergne, mais aussi de l’Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), des stations d’épuration (avec des opérateurs aussi bien publics que privés) et les 6 Agences de l’eau.

Cette collaboration permet d’envisager « une surveillance du littoral à l’approche de la saison estivale et des mouvements de population attendus, souligne le Pr Vincent Maréchal. Ces données sont cruciales pour permettre aux autorités locales de renforcer les messages de prévention aux premiers signes d’une circulation du virus dans le territoire ».

Malgré l’intérêt du dispositif, le projet est face à deux obstacles majeurs. « Nous manquons d’un référent au sein du Ministère de la santé pour savoir à qui, sous quelle forme et avec quelle granularité, transmettre les données : aux Agences régionales de Santé (ARS) ? À Santé publique France ?, interroge le Pr Vincent Maréchal. Une autre question porte sur le financement pérenne du projet, dont le coût est évalué à 3 millions d’euros pour un réseau d’une centaine de stations réalisant deux tests par semaine fonctionnant pendant un an. »


Source : lequotidiendumedecin.fr