LE QUOTIDIEN : L'épidémie en France ne faiblit pas. Que faut-il faire ?
Pr JEAN-FRANÇOIS DELFRAISSY : Aux côtés du préservatif, qui reste un moyen de prévention indispensable, il faut promouvoir les stratégies de prévention combinées associant le dépistage, la prophylaxie pré-exposition (PrEP), le TASP (le traitement comme outil de prévention). Il est clair que si on veut agir sur l'épidémie, il faut aller au plus près des publics concernés par le dépistage, hors des structures médicalisées L'entrée dans les soins pour les personnes découvrant leur séropositivité fonctionne bien en France, mais à condition de se savoir infecté !
Il faut aussi aller vers une simplification du traitement. Suite à de premiers résultats encourageants nous lançons un essai randomisé qui va évaluer une stratégie de réduction des doses avec un régime de prise du traitement 4 jours par semaine. Nous allons aussi évaluer des drogues à longue durée d'action, sous la forme de patchs ou d'injections toutes les 2 à 3 semaines.
La recherche sur les réservoirs visant à l'élimination du virus, se poursuit. Ces recherches sont difficiles à mettre en place car les molécules nouvelles molécules à cibles cellulaires ont leur propre toxicité.
Nous nous engageons ainsi dans une voie intéressante, avec les immune checkpoint blockers, ces molécules qui « libèrent » complètement le système immunitaire. Elles constituent une révolution dans le domaine de la cancérologie qui pourrait bénéficier au VIH. Une nouvelle cohorte devrait débuter à l'ANRS avec des patients séropositifs pour le VIH et atteints d'un cancer. Nous allons pouvoir mesurer l'impact de ces nouveaux traitements sur le réservoir viral.
Enfin, la recherche sur le vaccin, coûteuse pour une Agence d'État, demeure une priorité et se poursuit dans le cadre du VRI (vaccine research institute). À cet égard, nous venons de signer avec la société Novasep un accord pour le développement de 2 candidats vaccins.
Quelle est votre réaction à la décision d'une dizaine de municipalités de refuser d'afficher la campagne d'information grand public dans laquelle on voit des couples gays ?
Cette campagne de communication est nécessaire, et réclamée de longue date par les professionnels de la santé publique. Certains peuvent avoir un jugement moral et estimer qu'il ne faut pas dépenser de l'argent pour des populations qui n'utilisent pas de préservatif et n'écoutent pas les messages de prévention. Je vais à l'encontre de cette idée : nous avons établi des faits sur la réalité de l'épidémie, et devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour casser la courbe.
Les campagnes de prévention doivent toucher les populations les plus exposées, même avec des images qui peuvent choquer. On a déjà recours à des images très dures pour prévenir le tabagisme, l'alcool au volant. Ces images sont efficaces en termes de santé publique. L'efficacité, c'est l'objectif que nous devons atteindre en dépassant nos éventuels jugements moraux.
Les patients sont mieux et contrôlés et pourraient être suivis en ville. Doit-on « banaliser » le sida ?
Ma réponse sera mixte. Sur le plan médical, de plus en plus de patients sont suivis hors de l'hôpital et n'y viennent que deux fois par an. On n'est donc pas loin d'une maladie chronique sous traitement que l'on pourrait banaliser même si les médecins de ville qui ont joué un rôle important au début de l'épidémie sont un peu sortis du parcours de soins : ils trouvent cela compliqué, parce que les molécules ont changé ou qu'ils ont peu de patients séropositifs. Sous d'autres aspects et en dépit des progrès médicaux, cette maladie reste stigmatisante, bien plus que d'autres pathologies. Donc, je dirais qu'il faut aller vers la banalisation du VIH mais que cette pathologie reste unique.
Le VIH doit-il toujours être traité à part des autres problématiques de santé publique ?
Certains disent que notre réponse est trop verticale et que l'on ne s'occupe pas des problèmes de santé globale. Ils ont partiellement raison mais ce modèle a permis, pour la première fois dans l'histoire, à des patients du Sud d'accéder à des médicaments avec un décalage raisonnable par rapport au Nord.
Avec le VIH, on a tracé un chemin qui pourra être emprunté dans les autres pathologies comme le cancer avec des difficultés à financer des nouvelles thérapies anticancéreuses. Combien de temps faudra-t-il pour qu'ils arrivent dans les pays du Sud ?
L'ONUSIDA a publié la semaine dernière des chiffres encourageants sur la mise sous traitement des malades du sida, L'épidémie est-elle en voie d'être sous contrôle ?
Nous en sommes encore loin ! Plusieurs chiffres sont à considérer. Le nombre de nouvelles contaminations est en baisse mais reste très élevé : près de 2 millions par an. De plus, entre 38 et 40 % des personnes séropositives dans le monde ignorent leur séropositivité, soit 13 à 14 millions de personnes.
Même si la machine s'est mise en route en ce qui concerne la mise sous traitement, il reste encore de nombreuses interrogations. Dans une étude menée en Afrique du Sud par l'ANRS, nous avons pu mesurer le décalage existant entre le dépistage et la mise sous traitement.
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