C’est devenu un marronnier : la prévention reste le parent pauvre des politiques de santé tricolores, historiquement très axées sur le curatif. Mais comment inverser la tendance ?
Dépistage organisé du cancer, lutte antitabac, vaccination… « Aucune vision globale de la prévention en santé n’a été portée au cours des 50 dernières années, en dehors d’actions ponctuelles ciblées », cingle le think tank Économie Santé, qui rappelle le poids de notre « modèle curatif biomédical ». Dans sa « reco » annuelle (2022), ce groupe de réflexion créé en 2011 qui réunit une cinquantaine de membres représentatifs de l'écosystème de la santé – professionnels, dirigeants de laboratoires, fédérations d’établissements, industriels, experts – ambitionne, non pas de réinventer la prévention, mais de la rendre enfin « efficace », « l’un des sujets les plus difficiles à mener à bien ». Un sacerdoce pour le think tank libéral qui juge la situation « confuse », marquée par des actions de prévention « disparates et dispersées, dont l’évaluation est difficile ».
Piètres indicateurs
Le constat est accablant… et ancien. Avec une espérance de vie en bonne santé qui plafonne à 63,7 ans chez les hommes, la France a dix ans de retard sur la Suède, leader en Europe, mais aussi cinq ans sur l’Espagne. Pourtant, l'effort financier global dans notre pays est comparable à celui des pays de l'OCDE : six milliards d’euros par an pour les « programmes institutionnels » de prévention et neuf milliards pour les autres financeurs – Assurance-maladie (6,6 Mds), complémentaires santé et ménages. « Des moyens importants sont mobilisés mais en ordre dispersé sans responsabilisation globale, si bien que l’efficacité et l’efficience ne sont pas au rendez-vous », lit-on.
La mortalité liée à des causes évitables par la prévention fait de la France un mauvais élève. « Tabac, alcool, obésité, sédentarité, etc. : soit les déterminants péjoratifs de santé en France restent à un niveau élevé, comme le tabagisme et l’alcool, soit ils ont tendance à se dégrader, comme pour le surpoids, l’obésité et le niveau de sédentarité », expose le cercle de réflexion. Depuis 2013, la consommation d'alcool par habitant ne diminue plus. De surcroît, les inégalités de santé entre territoires et entre catégories socioprofessionnelles restent très marquées.
Financement pérenne identifié
D’où l’urgence de changer de braquet, d'autant que la pandémie constitue une période « d’opportunité exceptionnelle ». « Jamais la prévention n’aura été autant incluse et détaillée dans les plateformes politiques en vue de l’élection présidentielle », se réjouit le think tank, qui propose une série de mesures argumentées.
Premier impératif : « sanctuariser » le financement afin de protéger les politiques de prévention des aléas. De fait, si la stratégie nationale de santé (SNS) pour 2018-2022 affichait des mesures ambitieuses afin « de préserver 100 000 vies par an », « l'investissement sur cinq ans est assez modeste : 400 millions d’euros, avant le "quoi qu’il en coûte" », relève le groupe de réflexion. Il propose qu’un poste prévention soit identifié au sein de l’Ondam pluriannuel (objectif national de dépenses d’Assurance-maladie) « de manière explicite, en fonction des objectifs ». Un investissement d’autant plus précieux que la prévention rapporte : « Le gain d’une année de vie sans incapacité rapporterait 1,5 milliard d’euros par an sur la période 2021-2031 », anticipe le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) dans son dernier rapport.
Consultations longues majorées
Seconde priorité : la mobilisation des professionnels de santé à tous les étages autour de cet enjeu crucial. Et la question de la rémunération des médecins est ici abordée frontalement. « Paiement à l’acte en réponse à une demande de soins pour un épisode aigu, pas d’incitation forte à la prévention, pas de vision ni d’organisation populationnelle au sein d'un territoire avec un ciblage et repérage des personnes les plus à risque » : pour l’heure, la profession n’a rien à gagner à prévenir plutôt que guérir.
Résultat : selon la Drees, un généraliste sur cinq seulement déclare avoir contribué au cours des deux dernières années à des actions de prévention collective ciblées. « En outre, moins de la moitié considèrent que la ROSP [rémunération sur objectifs de santé publique, NDLR] les conduit à une pratique de prévention », détaille le groupe de réflexion. Plusieurs pistes sont avancées dont celle d'une rémunération plus incitative, à discuter avec les syndicats lors de la prochaine convention médicale. Le think tank suggère d'instaurer des consultations longues de prévention « correctement rémunérées » à des âges clés de la vie, de « stopper la paupérisation de la médecine scolaire et universitaire » et d'introduire des rendez-vous de prévention réguliers dans ces services. Il serait aussi utile de renforcer la prévention dans la formation de « tous les professionnels de santé » pour que cette culture lacunaire infuse partout.
Délégation interministérielle et clone numérique
La réforme de la gouvernance n'est pas oubliée, avec un profond de changement de méthode. Parce que la prévention « ne concerne pas que le ministère de la Santé », une vision globale et transversale est réclamée, qui passe par la création d’une délégation interministérielle à la prévention directement « auprès du Premier ministre ». Cette entité veillerait à ce que la prévention soit intégrée à toutes les strates des politiques publiques, avec des mesures d'impact.
À un échelon plus fin, le pilotage des politiques de prévention doit être « beaucoup plus proche des citoyens » et des élus locaux, « à partir des territoires ». Ce qui suppose un meilleur diagnostic des besoins par les agences régionales de santé (qui doivent muscler leurs projets de prévention) et le relais opérationnel des collectivités territoriales. « La prévention doit être incarnée, martèle le groupe d'experts. Pendant la crise sanitaire, les élus se sont mobilisés pour faciliter le dépistage et la vaccination. »
Enfin, impossible de penser l’avenir sans un volet digital. Mesure originale, le think tank imagine la création d'un « clone numérique » dans « Mon Espace Santé », qui permettrait à chaque citoyen de personnaliser et visualiser les bienfaits de la prévention. Cela rassemblerait aussi en un seul lieu numérique toutes les informations sur la prévention en santé, aujourd'hui éparses.
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