Après avoir savouré L'arbre du pays Toraja (Stock, 2016), le dernier ouvrage de Philippe Claudel, j'ai pensé que ce livre méritait d'être considéré non seulement comme un pur joyau littéraire mais aussi comme un document à mettre au programme de formation des éducateurs physiques, des psychologues et… des médecins. J'ai retenu trois aspects.
1. Définition de la vie et de la mort. Cet ouvrage répond d'abord à la question : « Qu'est que c'est les vivants ? ». Par-delà le rappel de quelques expressions triviales (séparer le vivant du mort, être avec les vivants…), l'auteur nous interpelle avec deux questions très subtiles : « Quel est le plus haut degré du vivant ? Y aurait-il différents états qui nous permettraient de distinguer si l'on est plus ou moins vivant ? » Les réponses ne vont pas de soi et chacun peut y aller de son point de vue ! Et la mort, c'est quoi ? Dans notre culture, c'est bien sûr la fin de la vie organique mais certaines cultures exotiques conçoivent la mort tout autrement. Par exemple dans l'île de Sulawesi (Indonésie), au pays Toraja, on a coutume de déposer le cadavre des nourrissons morts en bas âge dans la cavité du tronc d'un arbre particulier désigné comme sépulture. Ce faisant, on a la certitude qu'au fil des ans la chair de l'arbre se refermera, qu'elle gardera le corps de l'enfant « sous son écorce ressoudée » et qu'au cours d'un mystérieux voyage, elle le fera « monter vers les cieux ». C'est ainsi que l'arbre de mort s'est transformé en arbre de vie.
2. Nature du corps. Claudel récuse l'approche mécaniste du corps, celle qui considère le corps comme « un élément détaché de celui qui l'habite ». Cette conception qui fait du corps un objet, une chose, nous vient directement de la philosophie dualiste inspirée par Platon et, chez nous, par Descartes. Peu ou prou elle imprègne encore la Médecine quand celle-ci « se décharge sur d'autres sciences », on pense nécessairement à la psychanalyse, « quand il s'agit de comprendre les difficultés et les troubles de l'esprit ou l'impact de l'environnement dans lequel grandit, vit et évolue l'individu ». Dans cette optique, le narrateur se demande ce que peut signifier la maladie quand elle nous frappe : « N'est-elle pas le signe que, intentionnellement ou non, nous avons abaissé nos défenses ? » Se démarquant de la vision traditionnelle, Claudel nous invite à considérer le corps comme composante du sujet : il ne convient pas de dire à son propos : « J'ai un corps », il faut dire : « Je suis un corps ». On en vient ainsi à une conception moniste de l'homme, conception qui s'impose désormais à tous les scientifiques quelles que soient leurs idéologies ou leurs croyances.
3. Ontogenèse et rétrogenèse de la relation du sujet à son corps. Dans la même ligne de pensée, Claudel en arrive à retracer l'évolution du rapport que l'individu entretient avec son propre corps. Le thème n'est pas nouveau et des chercheurs comme le neuropsychologue du développement Julian de Ajuriaguerra ont déjà bien défriché cette piste il y a près de 50 ans. Mais l'auteur nous invite à redéfinir les grandes étapes de cette genèse en utilisant un langage innovant, accessible à tous et sans oublier les dimensions émotionnelles de ces stades.
- Le corps utilitaire. C'est le corps des premières années de la vie, celui que l'enfant apprend à maîtriser avec des sentiments mêlés de fascination et d'effroi. Le bébé découvre peu à peu les sensations de plaisir, de satisfaction qui se conjuguent avec « les états de tension et d'inconfort ». Il apprivoise son corps et apprend à jouir de lui, notamment dans le mouvement qu'on a pu qualifier très justement de jubilatoire.
- Le corps amical. C'est le corps qui se fait oublier et obéit à celui qui l'occupe. En dehors des cas pathologiques sévères où le corps est vécu comme un obstacle, « l'adulte va vivre 20 ou 30 ans avec et dans un corps amical ». La relation à notre corps est en équilibre, nous vivons « en parfaite osmose avec notre corps », cet allié indéfectible.
- Le corps hostile (à des degrés de plus, souffrant, ennemi) Passé un certain âge nous ne pouvons plus inverser la perte de performance. Nous ne pouvons que la ralentir, la retarder. Le corps agit désormais contre le sujet. « Son ingratitude nous affecte. »
Le rite funéraire des Toraja nous aura sans doute surpris mais nous situons-nous si loin de ce peuple quand nous pensons et affirmons que nous nous accomplissons dans notre descendance ou dans nos réalisations matérielles ? Ou quand les croyants disent tenir pour vraies « la résurrection de la chair et la vie éternelle » ? Nos convictions ont changé de forme, nos pratiques se sont transformées mais nos comportements n'ont-ils pas conservé la même fonction d'essence prométhéenne, celle qui consiste à vouloir prolonger la vie de nos proches et notre propre vie ?
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce
La prescription d’antibiotiques en ville se stabilise
Le Parlement adopte une loi sur le repérage des troubles du neurodéveloppement
Chirurgie : les protocoles de lutte contre l’antibiorésistance restent mal appliqués, regrette l’Académie