L’hôpital a été « une invention » de l’Église, nous dit Christian Delahaye. Pendant un millénaire, son histoire sera même entièrement catholique avant que la Révolution n’opère la rupture. S’en suivront deux siècles de laïcisation et de mutations profondes qui verront la disparition progressive des communautés religieuses.
En 1904 (lois Combes), les derniers aumôniers rémunérés et logés par l’Assistance publique seront congédiés. La loi de 1905 dite de séparation entre l’Église et l’État accélère le processus même si elle permet le retour de ces mêmes aumôniers. « Le 15 janvier 1908, les dames augustines, en place depuis le VIIe siècle, quittent en omnibus l’Hôtel-Dieu où elles œuvraient depuis treize siècles. Des centaines de Parisiens sont venus leur rendre hommage dans un vibrant cortège ». L’anecdote est emblématique.
Droit des patients
Si le détour historique permet de mieux éclairer les enjeux d’aujourd’hui, ce sont bien ces derniers qui sont au cœur de l’ouvrage. Théologien spécialiste du dialogue interreligieux et par ailleurs collaborateur au « Quotidien », l’auteur le rappelle : « Après l’hôpital tout-catholique et l’hôpital tout laïc, est en train de se dessiner un nouveau paysage de la laïcité caractérisé par la reconnaissance d’acteurs divers et leur intégration, à part égale, au service public ».
Les fortes évolutions que subit la structure hospitalière - nouvelle gouvernance, démocratie sanitaire - ne manquent pas d’influencer la laïcité elle-même. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades accorde à la personne malade des espaces qui lui étaient jusqu’alors refusés. « Il n’est pas anodin d’observer que l’AP-HP a décidé en septembre 2011 d’attribuer le suivi des aumôneries, précédemment assuré par la direction des affaires juridiques, au service Droits des patients », relève l’auteur.
C’est pourtant un événement extérieur - les attentats du 11 septembre - qui va pæser sur le cours de la laïcité à l’hôpital. Après la création du Conseil du culte musulman (CFCM), en mai 2003, les demandes de constitution d’aumôneries musulmanes seront officiellement formulées. Elles aboutiront à la mise en place en 2006 d’une aumônerie générale hospitalière musulmane - les interventions d’aumôniers protestants, orthodoxes et israélites ont été admises dès 1864 (le bouddhisme sera autorisé à son tour en 2013).
Avicenne, un hôpital modèle
Si l’Hôtel-Dieu apparaît comme emblématique de la préhistoire de l’hôpital, celui d’Avicenne (Bobigny) est un exemple des nouveaux rapports entre traditions religieuses et équipes soignantes. L’hôpital « franco-musulman » inauguré en 1935 a d’abord été réservé aux ressortissants de confession musulmane avant de s’ouvrir et de prendre le nom d’Avicenne, en hommage au médecin mathématicien, auteur du célèbre « Canon de la médecine ». D’abord hôpital de la discrimination, il devient une référence de l’intégration et du vivre ensemble sous l’impulsion du Pr Serge Lebovici qui crée en 1978 un département de psychopathologie et fait appel à Tobie Natan qui y ouvrira une consultation de d’ethnopsychiatrie. D’autres initiatives suivront comme l’ouverture en 1989 d’une consultation transculturelle où la création de médiatrices en santé intervenant sur les problèmes de nutrition des patients, constituant ce que le Pr Marie-Rose Moro qualifie de « laïcité thérapeutique », une laïcité « qui n’est pas une tolérance molle... mais la construction active d’une laïcité partagée ».
Une aumônerie pour lutter contre la psychose
L’aumônerie interreligieuse d’Avicenne qui réunit un prêtre catholique, un pasteur protestant, un imam, un rabbin et un prêtre orthodoxe, est le fruit de cette histoire singulière. Mais elle est née de la psychose engendrée par les attentats de 2001, « lorsque d’aucuns reconnurent en l’effigie d’Avicenne la représentation de Ben Laden ». Une charte interreligieuse sera mise en place en 2006, qui reconnaît l’aumônerie comme un service de l’hôpital.
Cette dernière devance de cinq ans, la Charte nationale des aumôneries relevant de la fonction publique publiée en septembre 2011 qui confirme le statut des aumôniers et leur intégration dans les équipes de soins.
Christian Delahaye note que l’événement ne fera l’objet d’aucune communication de la part des autorités hospitalières. « Sans doute discernera-t-on dans ce silence la marque d’un embarras », relève-t-il. Et cet embarras vaut sans doute aussi pour les instances religieuses, amenées à s’interroger et se transformer elle-même.
L’ouvrage, bien documenté, apporte une réflexion salutaire sur un débat qui reste polémique. Au contraire de la mise en garde d’Isabelle Levy sur les « menaces religieuses à l’hôpital », la vision y est plus apaisée - même si les tensions ne sont pas passées sous silence. La nouvelle laïcité qui s’esquisse se nourrit désormais de l’intérêt porté désormais à la spiritualité des patients dans la démarche clinique et en particulier à la détresse spirituelle du patient en fin de vie.
* Christian Delahaye, La laïcité à l’hôpital, Parole et Silence, 180 p., 17,50 euros.
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