Suite à un décret datant d'avril 2017 complété par deux arrêtés, « tous les médicaments bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) comportant dans leur résumé des caractéristiques du produit (RCP) les mentions "tératogènes ou fœtotoxiques" doivent apposer sur leur conditionnement extérieur un "pictogramme femme enceinte" ».
« Marquées par l'affaire de la Dépakine, les autorités françaises ont en effet décidé d'informer les patientes en toute transparence. L'initiative est louable, souligne le Pr Mathieu Molimard, pneumo-pharmacologue au CHU de Bordeaux. Sauf qu'aucune autorité scientifique n'a été consultée ni aucune évaluation médicale préalable menée, l'ANSM ayant été court-circuitée. Résultat, ce pictogramme est parfois dénué de tout fondement clinique. L’Académie Nationale de Médecine a d'ailleurs souligné dans un communiqué la "perte de chance" pour les patientes qui feraient le choix d’arrêter leur traitement et la difficulté dans laquelle ce pictogramme "femmes enceintes" plonge les professionnels de santé » (1).
« C'est le cas des pneumologues. Dans l'asthme, des corticoïdes inhalés et bêta-2 mimétiques inhalés ont en effet été marqués du pictogramme "X + Grossesse = Danger". Des interruptions de traitement délétères pour la mère et pour l'enfant à naître sont donc à craindre », selon la Société de pneumologie de langue française (SPLF).
Absence de fondement scientifique pour les anti-asthmatiques
Les anti-asthmatiques les plus communs, largement utilisés depuis des décennies au cours de milliers de grossesses, ne sont pas associés à un risque tératogène chez l’être humain. De multiples études de cohorte en témoignent pour les corticoïdes (2). Pour les bêta-2 mimétiques de longue durée d'action, les données sont nombreuses et rassurantes (3). Et même si l'on a moins de recul, on a aussi déjà pas mal de données sur les antileucotriènes et les anti-IgE (omalizumab, 4). C'est pourquoi aucune recommandation n'exclut ces traitements chez la femme enceinte.
Aucune information des médecins
« L'introduction du pictogramme a été laissée à l'appréciation des laboratoires (lire encadré). C'est en outre une mesure strictement franco-française. Cerise sur le gâteau, à ce jour nul n'a la liste consolidée des médicaments "tagués" : ni la Direction générale de la santé (DGS), ni l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ni les prescripteurs… », observe le Pr Molimard. « Or dans l'asthme certains laboratoires, mais pas tous, ont décidé d'apposer ce pictogramme à partir d'observations issues d'exposition systémique sur modèle animal. Résultat, de nombreux anti-asthmatiques — corticoïdes et bêta-2 mimétiques inhalés — sont concernés. Avec à la clé de nombreux risques d'interruption », résume Mathieu Molimard.
« Les retours des patientes découvrant ce pictogramme sont en effet très parlants. Bien évidemment elles sont inquiètes. Ceci encore plus si elles n'ont pas été averties de l'introduction du pictogramme. Ce dont il est bien difficile de les prévenir en absence d'information sur les médicaments, oui ou non tagués », insiste-t-il.
Recommandations pratiques de la SPLF
Pour rappel, l'asthme est une maladie potentiellement mortelle. Et la grossesse tend à déséquilibrer l'asthme. Une perte de contrôle survient dans 40 à 50 % des grossesses dans les études de cohorte observationnelles prospectives. L’incidence des exacerbations atteint les 20 % et la nécessité d'hospitaliser 6 %, selon une méta-analyse (5).
En outre, lors d'exacerbation traitée dans les services d'urgences, seules la moitié des asthmatiques enceintes reçoivent un traitement approprié (corticoïdes oraux) versus 72,4 % des femmes non enceintes (6). Quand toutes les recommandations, nationales et internationales, recommandent sans aucune réserve de traiter l’asthme de la femme enceinte de façon optimale en utilisant tous les traitements de fond nécessaires (GINA 2018) (7).
Face à cette situation, la SPLF recommande en pratique de prévenir les patientes de l’apposition de ce pictogramme. Il faut aussi leur expliquer que : la balance bénéfice risque est très en faveur de la poursuite de ces médicaments et leur interruption expose à des risques pour la grossesse et le fœtus. Enfin la SPLF rappelle qu'il faut traiter l’asthme de façon optimale au cours de la grossesse en utilisant les traitements nécessaires, de la même façon qu’en dehors de la grossesse.
« Chez une femme déjà sous traitement et bien équilibrée, il n'y a aucune raison valable, sauf l'éventuel souhait de la patiente, d'aller substituer tel traitement à un autre. En revanche il peut être judicieux de privilégier, quand on a le choix, les spécialités sans pictogramme à l'initiation du traitement chez une jeune fille/femme en âge de procréer », propose Mathieu Molimard.
Entretien avec le Pr Mathieu Molimard (CHU de Bordeaux)
(1) Déclaration du 6 février 2018
(2) Norjavaara E et al. 2003; Cossette B et al 2013; Garne E et al. 2015
(3) Cossette B et al 2013; CRAT
(4) Chenivesse C et al. Médicaments de l’asthme et pictogramme femme enceinte. pour le Groupe G2A, SPLF
(5) Murphy VE et al. 2006
(6) McCallister et al. 2011
(7) https://ginasthma.org/2018-gina-report-global-strategy-for-asthma-manag…
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