Le QUOTIDIEN - Pourquoi avez-vous choisi de faire des médecins étrangers la matière de votre roman ?
DENIS LABAYLE - J’ai derrière moi une carrière hospitalière de 40 ans durant laquelle j’ai vu grandir progressivement l’influence des médecins d’origine étrangère dans la vie de l’hôpital. Entre 1980 et 1990, le numerus clausus est passé de 8 677 étudiants à 3 500. Une vraie erreur de planification ! On a donc fait appel à toutes sortes de médecins et les étrangers ont fait fonctionner les services. En tant que praticien hospitalier, j’ai reçu de plus en plus d’internes étrangers, je les ai vus vivre et s’angoisser, parce que leur bagage n’était pas toujours à la hauteur, malgré toute leur bonne volonté. J’essayais de connaître leur itinéraire : j’étais fasciné par ces Africains qui parlaient chinois parce qu’ils s’étaient retrouvés du jour au lendemain à Shanghai pour leurs études. J’ai ainsi découvert que derrière ces personnes timides se cachent un passé incroyable et beaucoup d’épreuves. Lorsque j’ai décidé d’écrire ce roman, j’ai interviewé plusieurs de ces anciens internes avec qui j’ai gardé contact, voire tissé des liens d’amitié. Mais "Noirs en blanc" reste une fiction.
LE QUOTIDIEN : Zola Méké, le héros, naît au Congo-Brazzaville, grandit à Cuba, sous le régime communiste, part étudier à Saint-Pétersbourg, et vient parfaire ses connaissances en cœlioscopie à Paris. Est-ce un parcours courant ?
DL: C’est plausible. D’autres étudiants auront effectué des itinéraires parallèles, en passant par la Chine, l’Ukraine ou la Roumanie. Avec Zola et Samuel (étudiant camerounais que le héros rencontre en Russie NDLR), j’ai souhaité retranscrire la vie de ces jeunes qui effectuent leur collège dans leur pays, puis, avec l’argent d’une famille qui se saigne aux 4 veines, partent au Canada pour l’aîné, à Londres, pour la sœur, en Allemagne, pour le cadet.
À travers ces différents personnages, j’ai aussi essayé d’exposer toutes les situations : Albert, l’ami d’enfance africain de Zola, désespère de retourner au Congo, sa fiancée y vit mais devrait fuir, d’autres restent en France comme Zola par fascination pour les techniques de pointe, d’autres enfin pour l’argent. Mais tous gardent leurs racines présentes dans leur cœur. Plusieurs m’ont dit : " le Congo regorge de richesses, mais les députés sont payés 3 000 euros, les juges à la solde de l’État, 1 500 euros. Nous, médecins, sommes payés 250 à 300 euros. Si demain, on nous propose un poste à 800 euros, nous y retournons". Ils ont une attitude ambiguë à l’égard de la France. Ils sont reconnaissants mais amers parfois, lorsqu’ils doivent faire la queue toute la nuit dans le froid pour renouveler leur carte de séjour.
LE QUOTIDIEN : Adopter le point de vue d’un médecin africain, qui devient un « noir en Blanc », n’est-ce pas une façon de dénoncer, avec nuance, la fuite des cerveaux ?
DL : Je suis très culpabilisé, en tant qu’Européen, par ce qui se passe en Afrique, un continent que je connais bien, et qui existe aussi ailleurs. On estime à près de 125 000 le nombre de membres du secteur sanitaire formés en Afrique et vivant hors de ses frontières. Près de la moitié des médecins sénégalais ont quitté leur pays. Au Cameroun, ils sont 40 % à s’exiler. C’est une fuite des cerveaux considérable pour ces pays. Certes, il existe des complicités locales. Mais du côté de l’Europe, nous piquons ces cerveaux pour combler les postes moins attirants dans les maisons de retraite et les centres d’addictologie, ou réparer les erreurs du passé. Et comble de l’absurde, on envoie les organisations non-gouvernementales dispenser des soins en Afrique ! Je pense qu’il faudrait plutôt établir des actions de coopérations hospitalières et aider les médecins dans leur pays. Sinon, ils partiront ailleurs. Mais mon roman n’est pas militant. Je n’ai pas cherché à délivrer un message mais à raconter les souffrances de ces médecins étrangers.
Noirs en blanc, de Denis Labayle, édition dialogues, 360 pages, 19,90 euros. Paru le 12 janvier 2012
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