• La rencontre avec la biodiversité
Je suis venu à la biodiversité à travers certaines de mes fonctions, telle la présidence du conseil d’administration du CIRAD (Centre international de recherche en agronomie pour le développement), poste que j’occupe depuis huit ans environ. Cette expérience m’a permis de suivre les recherches en agronomie tournées vers le sud et surtout de réfléchir aux interfaces qui existent entre le monde de l’agronomie et celui de la santé. J’en vois notamment trois : les maladies émergentes, la nutrition et la sécurité alimentaire, l’environnement et les pesticides.
LES BOMBES ATOMIQUES DE LA BIODIVERSITÉ PEUVENT À TOUT MOMENT EXPLOSER ET FAIRE APPARAÎTRE DE NOUVEAUX VIRUS
Quand on parle des maladies émergentes, lesquelles vont devenir de plus en plus présentes dans le paysage mondial, on est au cur de la biodiversité. Nous sommes dans un nouveau domaine que les Anglo-Saxons appellent « conservation medicine », dont le but est d’analyser la biodiversité dans le contexte de sa régulation, c’est-à-dire de l’émergence ou au contraire de la disparition de nouvelles espèces animales vecteurs ou réservoir de maladies, ou nouvelles souches de pathogènes. Les personnalités scientifiques qui font la jonction entre les deux champs sont les vétérinaires. Dans cette chaîne d’événements, on parle de l’environnement, du climat, des réservoirs animaux, de la diversité des pathogènes, de l’homme, mais aussi du cycle inverse, c’est-à-dire comment l’homme, à travers l’anthropisation, arrive à bouleverser l’évolution de la biodiversité. Ce dernier cycle est à la fois lié aux modifications climatiques, dont on préjuge qu’elles sont liées aux activités humaines mais aussi aux migrations humaines, à la pollution chimique, à l’usage intempestif des antibiotiques et aux autres agents de lutte, qui font apparaître de nouvelles souches de microbes, et également à la création des fronts pionniers, lorsque l’homme défriche de nouveaux espaces et entre en contact avec de nouvelles populations animales ou de pathogènes.
•Et l’immunologie dans tout ça ?
J’ai découvert ce qu’était une approche scientifique et médicale de cette vision du monde à travers un livre que j’ai écrit il y a une dizaine d’années sur Louis Pasteur (1998, « Les Grandes Biographies », Flammarion). Pasteur était un pionnier de l’étude de la biodiversité : en traquant les microbes, il a essayé de comprendre l’apparition de nouvelles maladies comme celle du ver à soie. Et, en suivant la chaîne des événements, il est remonté jusqu’aux méthodes de prévention que sont les vaccins. L’immunologiste s’intéresse aux méthodes de prévention en étudiant les réponses immunitaires que met en place l’homme confronté aux événements de la biodiversité. Ces problématiques sont très importantes en termes de santé publique, puisque 60 % des maladies infectieuses humaines viennent des zoonoses et, dans la majorité d’entre elles, des animaux sauvages. Nous sommes assis sur des séries de bombes atomiques de la biodiversité, qui se situent dans certaines régions du monde et qui peuvent à tout moment exploser et faire apparaître de nouveaux virus et donc de nouvelles pathologies. Le sida, sur lequel je travaille depuis plus de 25 ans, est l’exemple même de ces maladies : quand nous allons au cur de l’Afrique centrale et que nous étudions encore les flux de microbes qui sont en train de passer des grands primates à l’homme, nous sommes au cur de ce qui a été à l’origine de cette terrible pandémie. Nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles épidémies, comme on l’a vu avec, par exemple, l’explosion du chikungunya, le H1N1, le sras, la fièvre de la vallée du Rift.
•Les exemples du paludisme et d’Ebola
Le paludisme tue un enfant toutes les 30 secondes. S’arrêter à la moustiquaire dans la réflexion sur cette maladie, c’est ne pas voir tout ce qui est à côté : la vie du moustique et les interactions du moustique avec les milieux. Quand vous créez des rizières, il y a des appels d’eau et donc des moustiques. Quand vous faites de la déforestation et des nouvelles cultures, vous changez les habitats de moustique et vous mettez l’homme au cur de nouveaux dangers. Cette réflexion porte ainsi sur le vecteur et les réservoirs animaux, car le moustique va également piquer certains mammifères, tels les grands singes, chez lesquels l’on découvre de nouvelles souches de paludisme.
Mais de nouveaux microbes émergent également à travers la résistance à nos moyens de lutte. Ainsi faut-il réfléchir à l’usage intempestif des antipaludéens : à la frontière du Cambodge et de la Thaïlande, des souches résistantes aux nouveaux dérivés de l’artémisinine sont déjà apparues.
La faune sauvage est souvent au cur de cette émergence. Au Gabon, en travaillant avec des primatologues, on s’est aperçu que 90 % des gorilles d’Afrique centrale étaient morts d’Ebola. Les chercheurs sont allés plus loin : à la recherche de nouveaux réservoirs, pistant d’autres animaux, ils ont découvert une espèce de chauve-souris qui était un hôte naturel non malade de l’Ebola. Les villageois africains qui les chassaient mangeaient de la viande infectée et étaient soumis à des risques d’Ebola.
Nous sommes dans un système de poupées russes où tout s’entremêle. C’est pour cela qu’il faut des expertises multidisciplinaires : médecins, biologistes, vétérinaires, agronomes, spécialistes de l’environnement, de la santé publique, des télédétections, des sciences humaines et sociales doivent travailler ensemble.
• Les méthodes de travail
Étant médecin, je vois la biodiversité à travers les maladies de l’homme : les maladies émergentes doivent être au centre de la politique internationale qui traite des biens publics mondiaux. Or, on en parle peu. Nous avons besoin d’un plaidoyer politique pour attirer l’attention sur cet aspect de la biodiversité afin de faire plus de prévention. Il faut que des scientifiques d’horizons différents puissent travailler ensemble dans des lieux où se situe le cur de la biodiversité.
La France a créé, de façon très originale, deux centres de recherche de veille, avec des biospécificités particulières : le premier est au Gabon, le Centre international de recherche médical de Franceville (CIRMF) et le second est le centre de recherche de l’océan Indien (CRVOI), créé au moment de l’épidémie de chikungunya, il y a un peu moins d’une dizaine d’années. Ce centre a également une spécificité ultramarine : les virus qui nous menacent peuvent aussi venir des mers et des coraux. En Asie du Sud-Est, un réseau est en train de se former sur les maladies émergentes (sras, grippe aviaire) ; un autre pourrait concerner le pourtour méditerranéen.
En tant qu’ambassadeur chargé de la lutte contre le sida et les maladies transmissibles, je soutiens l’idée de créer de tels centres de recherche et veille dans diverses régions du monde, représentatives de la biodiversité, et de leur donner une vocation internationale. La France a l’expertise pour promouvoir cette politique environnementale, médicale et scientifique. Plus on comprendra l’émergence de virus pathogènes, plus nous pourrons lutter en amont contre ce que j’appelle les nouvelles pestes et même imaginer, en prévention, des campagnes de vaccination dans les réservoirs animaux. C’est là une médecine du futur fondée sur l’analyse de la biodiversité, de son évolution, de sa disparition et aux risques qu’elle fait courir à l’homme par l’émergence des nouveaux microbes.
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