LE QUOTIDIEN – En quoi le projet de réforme initial était-il si libéral ?
ANÉMONE KOBER-SMITH – Cette réforme, dont l’objectif est de mieux maîtriser les dépenses de santé, est perçue par nombre d’observateurs comme la plus radicale depuis la création du NHS en 1948. Selon les nombreux détracteurs du projet, il s’agit surtout d’une entreprise idéologique visant à favoriser le secteur privé de la santé, qui mène un intense lobbying afin de fournir et gérer les soins au même titre que le public. Au départ, la loi prévoyait de démanteler les 150 primary care trusts (PCT) d’ici à 2013, et de transférer la gestion de 60 % à 80 % du budget du NHS à des consortiums de GPs [les médecins généralistes]. Les GPs passeront des contrats d’achat de soins avec des établissements de santé publics et privés, mis en concurrence sur la base du prix des traitements : le but est de casser le monopole des hôpitaux publics. Une instance appelée Monitor s’assurera du respect des règles de la concurrence pour éviter les cartels. Cette concurrence par les prix, et la crainte de voir se renforcer les inégalités d’accès aux soins, ont soulevé une forte opposition chez les patients, les infirmières, les médecins et les politiques, y compris au sein du parti libéral démocrate (lib-dem).
Les médecins britanniques paraissent très divisés. Parce que le pouvoir des généralistes se trouve renforcé ?
Les spécialistes n’ont rien à gagner avec cette réforme car les incitations financières prévues ne les concernent pas. Les généralistes eux-mêmes sont majoritairement opposés à la réforme. Le projet les survalorise en leur donnant un rôle d’acheteur. Moins ils commanderont de soins hospitaliers, et mieux ils seront payés. Une association minoritaire de GPs n’est pas contre l’idée de réaliser des profits, et soutient le projet. Le Royal College of GPs pense au contraire que ce système de primes va détériorer la relation de confiance entre médecins et patients, d’autant que les revenus des GPs ont déjà beaucoup augmenté ces dernières années. La British medical association, le syndicat le plus puissant, a voté une motion qualifiant le projet de loi de « dangereux », un mot très fort et inhabituel.
Le gouvernement Cameron fait marche arrière. Quel peut être le devenir de la réforme ?
Le gouvernement a reculé lorsqu’il a tenté de privatiser le parc des forêts face au tollé provoqué. C’est une nouvelle marche arrière importante. Cette réforme surprise du NHS ne figurait pas au programme électoral du lib-dem. Le ministre de la Santé qui porte la réforme a pris tout le monde de court y compris son propre camp. Après les élections locales de début mai, où le lib-dem a perdu beaucoup de sièges, Nick Clegg a fait volte-face et a proposé de remplacer la notion de concurrence par la notion de coopération. C’est un profond changement d’idéologie. Cela revient à vider la loi de son sens. David Cameron a fait des concessions en ce sens. Maintenant, il faut attendre la suite de l’examen du texte au Parlement.
*Anémone Kober-Smith est maître de conférence HDR en civilisation britannique à l’Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Elle est l’auteur de l’ouvrage « Le système de santé anglais à l’épreuve des réformes managériales » publié aux Presses Universitaires de Rennes en 2010.
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