Crise sanitaire, isolement et désertification médicale ont nourri en 2021 le terreau des dérives sectaires en santé. Un « sujet de préoccupation majeur », pour la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui pointe dans son rapport annuel la « multiplication des pseudo-guérisseurs ».
Naturopathie, crudivorisme, décodage biologique, reiki : 744 saisines de la Miviludes concernaient la santé en 2021. Et 70 % d’entre elles ciblaient des pratiques de soins non conventionnelles. En un an, les signalements liés aux médecines alternatives ont bondi de 25 %.
Dans tous les domaines, les dérives sectaires explosent en France. Avec 4 020 saisines enregistrées l'an passé, la mission note une augmentation de 33 % par rapport à 2020, et de 86 % par rapport à 2015. Parmi elles, près de 150 dossiers avaient trait spécifiquement à des signalements pour complotismes et mouvances antivax.
« Gourous 2.0 »
« La crise sanitaire a assurément constitué un terreau fertile pour ces mouvements », confirme Sonia Backès, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté. Sur internet, la Miviludes assiste à la naissance de « gourous 2.0 » qui profitent d’une « véritable vitrine publicitaire » offerte par les réseaux sociaux. Le tout avec une méthode bien huilée : cibler des Français sur des critères précis comme « les troubles du sommeil, la maladie d’un enfant, l’anxiété, les troubles alimentaires, le diagnostic d’une maladie », détaille la mission, qui précise que les dérives thérapeutiques ne s’apparentent pas automatiquement à des dérives sectaires.
À l’aune de la crise sanitaire, la France a vu apparaître un tas de nouveaux « dérapeutes », selon le terme de la mission (contraction de dérapages et thérapeutes). La Miviludes cite la ventousothérapie, une pratique qui consiste « à réaliser des incisions épidermiques superficielles à des points bien précis du corps humain et à y appliquer des ventouses afin d’aspirer ce qui est considéré comme le mauvais sang ». Autres dérives qui ciblent les malades atteints de cancer : le décodage biologique ou psychogénéalogie, qui se diffuse en France avec 23 praticiens à Paris, 19 à Lyon, 15 à Toulouse.
Les dangers du jeûne
Inlassablement, la Miviludes constate les « dangers » de la naturopathie et du jeûne. Une dérive d’autant plus néfaste qu’elle place les victimes, privés d’aliments, dans une situation de vulnérabilité extrême.
En 2021, un « naturopathe » qui se présentait comme un « médecin moléculaire » malgré son absence de diplôme médical a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour exercice illégal de la médecine. « Plusieurs de ses "patients", qu’il recevait dans un simulacre de cabinet, avaient décidé de s’en remettre entièrement à lui pour qu’il les aide à guérir grâce à des remèdes naturels tels que des cocktails d’huiles essentielles, une alimentation centrée sur des jus de fruits et de légumes, des jeûnes sévères et prolongés », raconte la Miviludes. Au moins deux personnes souffrant d’un cancer sont décédées. Le naturopathe a fait appel.
Abandon des traitements
Une figure très controversée marque particulièrement par son prosélytisme. Avec 80 millions de vues sur YouTube, Thierry Casasnovas, chantre du « crudivorisme », a été la cible, à lui seul, de 54 saisines en 2021 ! Cancer, diabète, troubles psychiatriques : le quadragénaire « incite les personnes à remettre en cause les pratiques thérapeutiques médicales, expliquant par exemple que la chimiothérapie est toxique et inefficace », pointe la Miviludes. Sur le Covid, il promettait d'en finir « rapido » avec la pandémie, avec « bain froid et jeûne pour tout le monde, un petit jus de carottes et vas-y que je t’envoie ».
Avec des formations vendues entre 200 et 500 euros, le gourou est accusé de dérives sectaires. Plusieurs témoignages de victimes pointent des renoncements de traitement, des pertes de poids et des signes d’affaiblissement. Un homme explique à la Miviludes que sa femme, adepte assidue de Thierry Casasnovas « ne veut plus aller voir son médecin traitant, a perdu 8 kg à force de jeûner, ne veut plus se faire vacciner ».
Procédures pénales
Parfois, les dérives sectaires sont opérées directement par des confrères. C’est le cas de la médecine anthroposophique, cible de 31 saisines. « Cette médecine propre, développée par Rudolf Steiner, prône la conception selon laquelle la maladie découle d’une destinée karmique, indissociable des erreurs et des péchés commis par le patient dans l’une de ses vies antérieures », résume sobrement la Miviludes. Elle peut entraîner une emprise mentale sur ses adeptes, jusqu’au décès.
En 2016, un généraliste du sud de la France qui suivait une patiente pour cancer du sein a été condamné à deux ans d’interdiction d’exercice. « Épuisée par la chimiothérapie, son médecin lui prescrit à la place 28 injections d’extrait de gui. Il procède lui-même aux injections dans le sein, autour de la tumeur », raconte la Miviludes. Elle décédera plusieurs mois plus tard.
Face à ces dérives sectaires, la Miviludes a opéré 20 signalements pénaux en 2021. L’unité de gendarmerie en charge de la lutte contre les dérives sectaires a engagé de son côté des procédures pour sept usurpations du titre de médecin ou de pharmacien, et « plus d’une dizaine d’infractions pour exercice illégal de la profession de médecin ou de pharmacien ».
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