LE PLATEAU suspendu de l’imprimante monte et descend à intervalles prédéterminés, permettant à une seringue dont le déplacement est contrôlé par les axes mobiles d’un portique, d’y délivrer délicatement en des points précis un gel qui, en une vingtaine de minutes, prend la forme d’un cartilage d’oreille. Développée il y a deux ou trois décennies aux États-Unis pour le secteur industriel, l’impression 3D s’adapte à l’utilisation des biomatériaux et, d’ici une à deux dizaines d’années, pourrait apparaître dans le bloc opératoire. C’est du moins ce que prévoient les chercheurs responsables de cette démonstration qui a eu lieu lors d’une conférence scientifique récente à Washington.*
Si l’objet fabriqué devant le public n’est qu’un modèle en silicone, indique Hod Lipson, professeur associé à l’université Cornell, dans l’état de New York, un autre chercheur de Cornell, Lawrence Bonassar, a façonné au laboratoire avec la même machine, un cartilage biologique du ménisque du genou grâce à un hydrogel ensemencé avec des chondrocytes de veau. Celui-ci possédait les propriétés du cartilage animal correspondant.
Médecine de guerre.
De son côté, le Dr James Yoo, professeur à l’école de médecine de l’Université Wake Forest, en Caroline du Nord, annonce qu’il a utilisé une technologie semblable pour fabriquer de la peau humaine qui a été « imprimée » directement sur la plaie d’une souris. La greffe a pris et il espère qu’à l’avenir son dispositif pourra être utilisé sur les champs de bataille pour couvrir rapidement les brûlures des blessés.
Le dispositif utilisé pour l’impression tridimensionnelle ressemble à une imprimante à jet d’encre. Et l’objet fabriqué est construit progressivement couche par couche à partir d’un modèle conçu par ordinateur. Dans le cas de la construction de tissus vivants, l’encre est constituée par un gel contenant les cellules désirées. Si l’idée paraît simple, sa réalisation est néanmoins limitée par la capacité de survie des cellules. Il faut notamment, explique Hod Lipson, que celles-ci puissent résister aux forces de cisaillement qui s’exercent au cours du processus. Le gel doit aussi avoir des propriétés structurelles qui permettent de maintenir les cellules en place pendant l’impression.
Le Dr Yoo révèle que c’est la guerre en Irak et en Afghanistan qui a motivé le travail de son équipe. « Jusqu’à 30 % de toutes les blessures dues à la guerre affectent la peau », rapporte-t-il et il ajoute : « Nous avons développé une imprimante biologique qui peut être transportée auprès d’un soldat blessé et permettrait de déposer sur ses brûlures différents types de cellules. Ce qui est unique à notre système, c’est qu’il est équipé d’un scanner qui permet d’identifier l’étendue et la profondeur de la blessure (…) et de transformer cette information en une image numérique tridimensionnelle afin de déterminer combien de couches de cellules devront être déposées pour restaurer le tissu blessé à sa configuration normale. »
Raccordement.
Par rapport aux autres technologies d’ingénierie tissulaire dans lesquelles les tissus sont fabriqués sur un support au laboratoire, indiquent les deux chercheurs, l’impression 3D permet d’atteindre un plus grand niveau d’hétérogénéité et de complexité. Elle donne « la possibilité de réaliser des assemblages tridimensionnels avec différents types de cellules en différents endroits, au cours d’une seule impression », précise Hod Lipson. « Un des avantages de l’utilisation d’un système d’impression informatisé est que l’on peut créer une forme de tissu plus fidèle que lorsque l’on essaie de construire quelque chose manuellement, renchérit le Dr Yoo. »
Un autre défi que pose la transplantation d’organes cultivés hors du corps – que le système d’impression semble avoir résolu pour les chercheurs de l’université Wake Forest – est le raccordement « aux vaisseaux sanguins, à l’alimentation en sang et en oxygène », signale le Dr Yoo.
Dans l’expérience de son équipe, deux types de cellules ont été déposées par « l’imprimante » sur une blessure sur des souris nude : des fibroblastes pour les couches profondes et des kératinocytes pour la couche extérieure. Ces cellules étaient contenues dans d’autres biomatériaux transporteurs. Les cellules déposées en couches successives ont été capables d’attirer la vascularisation du corps.
« Nous avons montré que le corps est capable d’adopter les cellules déposées. Elles s’intègrent très bien (…) avec la vascularisation et dans la structure du tissu existant de l’hôte », souligne le Dr Yoo, qui ajoute que la prochaine étude de son équipe portera sur une greffe d’un carré de peau de 10 cm sur 10 chez le porc.
Les tests chez l’homme auront probablement lieu « dans les cinq prochaines années, dit au "Quotidien" le Dr Anthony Atala, directeur de l’Institut de médecine régénératrice de Wake Forest. Cela ne dépend que de la façon dont les études précliniques vont progresser. »
Quant à Hod Lipson il estime que la technologie d’impression de tissus ou d’organes pourrait faire partie de la pratique médicale courante d’ici 20 ans.
* American Association for the Advancement of Science.
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