Douze membres de Médecins sans frontières (MSF) dont 3 médecins ainsi que 10 patients ont péri dans les frappes aériennes qui – pendant plus de 45 minutes – se sont abattues sur l’hôpital de l’ONG situé à Kunduz, au Nord-Est de l’Afghanistan. Stéphane Roques, directeur général de MSF, dénonce « un crime de guerre » et réclame « une enquête indépendante ».
LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : Que s’est-il passé à Kunduz, dans la nuit du 2 au 3 octobre ?
STEPHANE ROQUES - La ville de Kunduz, 300 000 habitants sans compter la périphérie, est le théâtre de conflits très lourds depuis le 28 septembre. Convoitée, elle est tombée aux mains des Talibans en début de semaine, avant la riposte des autorités afghanes, soutenues par la coalition de l’Otan, qui ont repris la ville.
Notre hôpital*, seule présence médicale de la zone, avec le comité international de la croix rouge (CICR), a reçu un peu plus de 400 blessés lourds les 4 premiers jours du conflit.
Au moment du bombardement, il y avait 105 patients et plus de 80 personnels de MSF. Les frappes aériennes ont duré plus de 45 minutes, alors qu’on a alerté dès les premiers instants les autorités afghanes et américaines. Elles ont touché le cœur de l’hôpital, qui abrite le bloc chirurgical, la salle de réveil, les soins intensifs. Un incendie s’est immédiatement déclaré. C’est horrible : les personnes qui ne pouvaient se lever de leur lit ont été brûlées vives. L’un était même en train d’être opéré. On déplore aujourd’hui 22 morts, dont 7 patients et 3 enfants. Douze collègues afghans sont décédés : trois médecins, quatre infirmières, un pharmacien, et des aides.
Quelles sont les conséquences pour MSF qui travaille en Afghanistan depuis 1980 ?
L’hôpital de Kunduz, ouvert en 2011, est fermé aujourd’hui. Le bâtiment principal n’existe plus du tout, les 9 expatriés ont été rapatriés, les patients les plus gravement blessés ont été transférés à l’hôpital de Puli Khumri à deux heures de route. Aucune décision n’est encore prise sur la suite.
Les autres activités dans le pays, à Kaboul (à l’hôpital Ahmed Shah Baba à l’Est et à la maternité de Dasht-e-Barchi à l’Ouest), et dans la province de Helmand, plus au sud, continuent. Ce sont de très gros programmes avec plusieurs centaines de lits.
Ce drame est-il le symptôme d’une plus grande dangerosité de l’humanitaire ?
Chaque année, les hôpitaux de MSF et d’autres ONG sont confrontés à des attaques et des incidents avec des armes ; des collègues et des médecins sont ciblés, à Gaza, en Syrie, au Yemen.
La dangerosité augmente-t-elle ? C’est un débat qui agite le monde des humanitaires. Certains le pensent, mais c’est loin d’être une évidence. Certes, nous faisons face ces dernières années à de nouvelles difficultés avec des groupes radicaux. Les conflits sont moins binaires qu’avant. Mais il y a toujours eu des incidents et en pourcentage, l’augmentation n’est pas avérée.
Notre mission est d’être présents là où il n’y a personne pour les victimes des conflits et d’accueillir tous les patients sur critère médical, quelle que soit leur origine, les civils restant les plus nombreux.
À Kunduz, le droit humanitaire international n’a pas été respecté. On ne peut pas tirer sur un hôpital. Dans notre cas, il était rempli de patients et de médecins, très bien protégé (seules les ambulances y entraient) et ses coordonnées avaient été transmises aux belligérants. C’est un crime de guerre. Les explications changeantes de l’OTAN (« dommage collatéral, présence de talibans, demande des Afghans ») nous sont intolérables. Nous demandons une enquête indépendante, et la nécessaire protection de toutes structures de soins dans les zones de conflit.
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