Journaliste professionnel depuis des décennies, je suis finalement parvenu au jour de ma retraite. Quelle que soit votre évaluation de mon travail, j'ai toujours eu l'ambition de publier mes analyses politiques sous la forme d'une chronique régulière. J'ai bel et bien l'intention de poursuivre dans mon blog quotidien, jusqu'au 13 juillet, puis au mois d'août par intermittence, puis sous la forme d'un article quotidien.
Je n'ose pas faire le bilan de mon travail, c'est une tâche remarquable que j'ai tenté d'accomplir discrètement en proposant cette exception éditoriale dans des pages toutes consacrées à la médecine. Les médecins préfèrent lire des études scientifiques, mais un regard sur le monde devient de la sorte un répit utile, qu'il s'agisse de politique étrangère ou nationale. J'ai tenu, par passion professionnelle, à rester informé par les journaux, la radio et la télévision. Le moment d'écrire n'arrive pas sans de laborieuses lectures. Il m'importe, bien sûr, de vérifier l'exactitude des faits, mais la chronique la plus modeste ne doit pas être exempte de toute émotion. On ne peut pas évoquer la guerre sans dire qu'on est du côté des victimes. C'est, me semble-t-il, ce qui attache le lecteur : entre les lignes, il discerne, le jugement, l'inquiétude, la colère déclenchée par le cynisme et la cruauté, le sens d'une cause, la fragilité de nos libertés, le sens de l'indépendance, le prix d'une saine révolte.
J'ai souvent pensé qu'un diplôme d'histoire m'eût été utile. Mais j'ai accompagné l'histoire pendant des décennies, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. J'ai appris le monde et ses convulsions en les observant minutieusement chaque jour. Je me suis dit que la France n'a jamais eu d'alternative, qu'elle devait, en toute circonstance, être du côté des démocrates et s'arracher à la tentation coloniale. Je n'ai aucun mérite à faire ce choix. Il m'est dicté par la force des choses : il n'y a pas de confort intellectuel en dehors de la vérité. Il n'y a pas de mésaventure à rechercher dans un monde naturellement dangereux. Mon message a toujours été une variante du même slogan : nous sommes libres, ce qui entraîne d'immenses responsabilités, et nous ne pouvons pas assister au martyre d'un peuple sans épouser sa cause sans conditions.
Des modèles de littérature
D'une certaine façon, s'adresser au lecteur avec pédagogie, c'est faire preuve d'arrogance. Il n'est pas prouvé qu'il ait besoin d'un journaliste pour voler à son secours. Il n'est pas sûr que le même journaliste soit plus cultivé que ses lecteurs. Des correspondants du blog m'écrivent des commentaires qui sont des modèles littéraires et philosophiques. Du coup, c'est moins la chronique qui compte que la réponse qui lui est faite. Et tout le monde y gagne, le lecteur qui en apprend plus, le blog qui en devient meilleur, le correspondant qui montre son talent. Il n'y a rien de pire qu'un homme disposant d'une certaine autorité et repoussant des articles sous le prétexte qu'ils sont supérieurs aux siens. Ce n'est pas de la concurrence, mais de l'émulation.
Il s'agit donc d'une double dialectique, entre le journaliste et le lecteur, entre la chronique et les réactions qu'elles déclenchent. Il faut avoir une peau épaisse pour tolérer les insultes et les publier. Je me contente de remettre le pertubateur à sa place. Un correspondant d'extrême droite m'a traité de "salaud", ce qui m'a certes choqué, mais je lui ai répondu que ce mot était à la hauteur de ce qu'il était lui-même. J'ai aussi reçu des éloges qui ont bousculé ma modestie. Je n'ai jamais souhaité que mes journaux publient mon portrait. Nous ne sommes ni des acteurs ni des mannequins. La qualité du commentaire n'est pas photographiable.
Vous voilà fixés sur la façon dont fonctionnent les relations entre journalistes et lecteurs. À ceux de mes collègues qui m'écoutaient parfois, j'ai rappelé que, avant d'écrire, il faut se demander si le sujet est intéressant. Pour mon dernier article, la question ne se pose pas : le sujet m'intéresse. J'espère qu'il vous a aussi intéressé.
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