Un médecin, une vie
ON NE PEUT PAS dire qu’il a accueilli la proposition avec enthousiasme. Même sa femme, cardiologue à l’hôpital Saint-Louis, lui a fait part de sa réserve. Il a fallu accepter ses conditions : parler de son équipe, de son hôpital, de ses prédécesseurs, bref, de tout sauf de lui. Drôle d’idée pour un portrait, mais soit. Pour rencontrer le Pr Philippe Menasché, mieux vaut calculer large. Oubliez ne serait-ce que la lettre de l’ ascenseur à prendre et vous voilà perdu dans les méandres du moderne HEGP. Une promenade agréable, avec ces grandes baies vitrées, mais un peu lassante à force de suivre les directions contradictoires délivrées par des soignants happés au détour de couloirs.
Philippe Menasché, 58 ans, chirurgien au pôle cardiovasculaire, ascenseur D, en est conscient : travailler dans un tel hôpital, la vitrine de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, suscite des jalousies et, pire, fait des envieux. « Cet hôpital est bien doté. On aurait honte de se plaindre. Je savoure le bonheur de travailler ici tous les matins. Il est vrai qu’avec Jean-Noël Fabiani (chef du département de chirurgie cardiovasculaire) , si on ne fait pas la démarche volontaire, on peut rester une semaine sans se voir », avoue-t-il dans son bureau avec vue sur le ciel. Et pour contrer l’image de poisse qui poursuit ce navire amiral, il n’hésite pas à l’associer à ses propres faits les plus médiatiques : la thérapie cellulaire.
La réputation colle à la peau. « C’est un peu comme Peter Falk : même s’il a fait 25 films, on se souvient de lui comme étant Colombo. Et bien, pendant longtemps, Pompidou était associé à la légionellose. » L’épidémie de légionellose, c’était en 2000, peu après l’inauguration de l’hôpital, marquée par un important bug informatique. « Je suis arrivé après la bataille. Les pires moments, ce sont notamment Michel Desnos et Alain Hagège, mes compères cardiologues, qui les ont vécus ». Avec, bien sûr, le Pr Alain Deloche, en chef de pôle, qui l’appelle à ses côtés en 2003, en le sauvant de « l’enfer » de Bichat, où il travaillait après la restructuration de la chirurgie cardiaque à l’AP-HP et la fermeture de son service à Lariboisière.
Faits d’armes.
Philippe Menasché, qui trahit parfois un faux air de Woody Allen, a son franc-parler. « Moi, j’ai quand même vécu l’incendie, il y a deux ans », précise-t-il, un incendie déclenché dans un local technique qui crée une vaste panne électrique. Pour faire partie du cercle des initiés, tout médecin doit présenter ses faits d’armes. « Je milite beaucoup pour dire que Pompidou, c’est l’excellence cardiovasculaire à Paris. Il n’y a pas une structure parisienne qui intègre de cette manière toutes les composantes, depuis la prévention et le diagnostic génétique jusqu’au cur artificiel en passant par la thérapie cellulaire et le reste, y compris la composante rénale et hypertensive. En terme d’effectifs, de lits et d’activité, et avec une structure de recherche dédiée au cardiovasculaire, on peut dire qu’il n’y a pas beaucoup de pôle de cette ampleur. »
À force de mouiller sa chemise, Philippe Menasché s’est toutefois fait également rattraper par son image, catalogué en « Monsieur cellules souches ». « Un de mes collègues m’a demandé un jour, et la question était sans malice, s’il pouvait encore m’envoyer un pontage coronarien. Dans la pratique, je n’ai pas fait beaucoup de greffes de cellules souches par rapport au nombre d’interventions classiques (pontages et valves) . Mais les cellules souches font rêver. »
Pourtant l’histoire, il y a une quinzaine d’années, a débuté de « manière très modeste ». À l’époque, il travaille essentiellement dans la protection du myocarde et notamment des greffons cardiaques au cours de la transplantation grâce à la mise au point d’une solution de conservation encore très utilisée aujourd’hui. « J’avais un pied dans l’unité INSERM de Lariboisière. À ce moment, Marcio Scorsin, un résident brésilien, cherchait un travail de recherche. Je lui ai conseillé de faire un modèle d’infarctus chez le rat, pour lui injecter ensuite des cellules. » Marcio Scorsin développe le modèle, reste à choisir le type de cellules à injecter. Michel Desnos et Albert-Alain Hagège, alors à Boucicaut, font déjà partie du voyage. « J’ai demandé à Alain de réfléchir à une technique d’évaluation par imagerie. C’est quelqu’un d’extrêmement réactif : il a été le premier à faire de l’échographie sur le petit animal », s’enthousiasme-t-il. « On a commencé par utiliser des cellules cardiaques ftales mais nous nous sommes rendu compte que ce serait difficile sur le plan clinique. » C’est la généticienne Ketty Schwartz (ancienne présidente du conseil scientifique de l'Association française contre les myopathies), qui le met sur la voie des cellules musculaires. « Ça paraissait plus accessible cliniquement. Après avoir fait toute la préclinique, on s’est tout naturellement dit qu’il fallait passer à l’homme. Le côté chirurgien est ressorti. » Et la première greffe intramyocardique de cellules musculaires (une greffe autologue) eu lieu le 15 juin 2000, au cours d’une intervention de pontage chez un patient de 72 ans.
L’engouement médiatique qui a suivi (publication princeps du « Lancet » de 2001) n’a pas manqué de surprendre l’équipe. « Si j’avais su, j’aurais peut-être demandé à un spécialiste de communication de me donner quelques conseils pour éviter certaines erreurs qu’on a sûrement commises à l’époque. Mais nous n’avons jamais parlé de régénération. » Les cellules n’ont eu finalement qu’un effet modeste sur la fonction ventriculaire gauche. Cette première mondiale a toutefois permis de donner un fameux coup de pouce à la thérapie cellulaire, reconnaît Philippe Menasché, initié à la recherche par Michel Bercot, chef de clinique chez Charles Dubost : des références en chirurgie cardiaque. « C’est Michel Bercot qui m’a fait découvrir la recherche en chirurgie et m’a appris l’essentiel de mon métier. J’ai commencé comme externe à dénuder les artères fémorales des chiens dans son labo à Broussais. Avec Alain Deloche, il tient pour moi une place particulière. » L’essai MAGIC (pour greffe de myoblastes autologues dans la cardiomyopathie), seule étude randomisée prospective multicentrique menée à ce jour, a été globalement négatif. Mais il a permis d’ouvrir un nouveau chemin : celui des cellules souches embryonnaires qui, contrairement aux cellules adultes, ont la capacité de devenir de vraies cellules cardiaques.
Esprit de groupe.
C’est donc avec Michel Pucéat, en 2004, qu’il poursuit l’aventure. « L’équipe a évolué parce que les intervenants ne sont pas les mêmes. Mais l’esprit de groupe a été assez bien maintenu. Je suis très sensible au fait que les personnes qui travaillent avec moi soient heureuses. » Michel Pucéat, directeur de recherche à l’INSERM (I-Stem), le juge excellent coordonnateur. « Collaborer avec des cliniciens est, d’ordinaire, assez difficile : nous n’avons pas la même formation ni le même état d’esprit. Mais avec Philippe, tout se fait de façon naturelle, dans un esprit de confiance, ajoute-t-il. Nous avons le souci d’apprendre l’un de l’autre. »
Même s’il possède un doctorat de science, Philippe Menasché a toujours privilégié le travail en binôme, par respect des compétences : « Si on veut avancer, on ne peut pas s’en tenir au bricolage de l’application, il faut un certain degré de recherche fondamentale. » Michel Pucéat, lui, apprécie d’avoir pu découvrir le monde du bloc, invité à suivre un changement de valve doublé d’un pontage coronarien. « C’était impressionnant de voir le cur se remettre à battre. Philippe Menasché aime énormément partager », à l’image de l’amateur de vin débouchant un grand cru . CarPhilippe Menasché se sent dans une « salle d’op » comme dans une bulle, un endroit privilégié où « l’on est protégé de tout », où l’on peut s’imaginer « comme le commandant dans son cockpit, avec un plan de vol, parfois des turbulences ». « Le boulot du chirurgien, c’est d’opérer mais aussi d’assurer le lien et le dialogue. J’en reviens toujours à l’aéronautique : les causes les plus fréquentes des problèmes, c’est le défaut de communication. » C’est d’ailleurs avec un de ses amis, pilote à Air France, qu’il réfléchit à la manière dont il peut améliorer la qualité de la prise en charge des malades en chirurgie cardiaque par des procédures inspirées de l’aéronautique. Mais son ambition reste du côté de la thérapie cellulaire, qu’il s’agisse, par exemple, des recherches menées aux États-Unis par la société Geron pour les patients porteurs d’une lésion de la moelle épinière subaiguë, ou par lui, en France, pour les insuffisants cardiaques. « La thérapie cellulaire ne remplacera pas la transplantation cardiaque, prévient-il. Notre but est de soulager les malades. Si on arrive à avoir des progéniteurs cardiaques dérivés de cellules souches embryonnaires que l’on peut injecter avec un protocole d’immunosuppression light et avec un rapport risque/bénéfice acceptable, ce sera positif. » L’équipe s’apprête à déposer, avant la fin de l’année, un dossier d’essai clinique à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Le temps, pour Philippe Menasché de gravir cet été quelques cimes, activité qu’il aime pratiquer pendant ses rares vacances.
* Ce 9 juin au palais du Pharo, à Marseille. Les travaux et l’agenda des états généraux de la bioéthique sont sur le site etatsgenerauxdelabioethique.fr.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature