Branle-bas de combat au Centre médical de la bourse (CMB) en ce début d'année 2017. Son service interprofessionnel de santé au travail (SIST) a reçu en juillet 2016 un agrément pour 5 ans ; et un arrêté du 4 octobre 2016 a étendu les dispositions concernant les mannequins pour prévenir leurs risques professionnels. Le CMB devient ainsi la première structure habilitée sur tout le territoire. Une petite révolution, pour ce métier qui n'avait pas jusqu'à présent de médecine du travail structurée.
Combien y a-t-il de mannequins en France ? À quels risques sont-ils exposés ? Aucune donnée ni étude récente n'existe. « C'est une population très restreinte et volatile. On avance le chiffre de 8 000 personnes mais il faudrait sûrement enlever un zéro pour mieux cerner ceux qui en vivent » dit Frank Laffitte, président du Syndicat national des mannequins FO (et fondateur du SN2A). Les agences n'ont pas souhaité répondre à nos demandes d'interview. « Nos adhérents font passer une visite médicale à leurs mannequins et prennent très au sérieux ce sujet » assure dans un courrier Isabelle Saint-Felix, secrétaire générale du syndicat national des agences de mannequins (SYNAM).
C'est toute une organisation de la médecine du travail que doit aujourd'hui construire le CMB, qui suit, historiquement, les professionnels du spectacle, y compris les enfants.
« Grâce à cet agrément national, nous allons pouvoir récolter des statistiques sur le nombre de mannequins à Paris et en province, ainsi que des données permettant de mener des études, en particulier sur leurs risques professionnels », prévoit le Dr Pascale Fumeau-Demay, directrice du SIST-CMB. Le Centre s'est également rapproché d'un grand service hospitalier parisien pour travailler en réseau et tisse des partenariats avec les services de santé en régions.
Délais et dédale législatifs
La santé des mannequins a surgi sur le devant des podiums après le décès en 2006 de deux top modèles sud-américaines des suites de complications liées à une anorexie mentale. En France, le ministre de la Santé Xavier Bertrand confie au pédopsychiatre Marcel Rufo et au sociologue Jean-Pierre Poulain un groupe de travail ; en 2008, le monde de la mode signe une « charte d'engagement volontaire sur l'image du corps et contre l'anorexie ».
Sept ans plus tard, « les ambitions affichées ne se sont pas véritablement traduites dans les faits et l'action publique doit se saisir de la question de façon plus déterminée », constatent les députés socialistes lors des débats de la loi de modernisation de notre système de santé. Le Dr Olivier Véran fait voter deux amendements destinés à éradiquer les images de corps cachectiques : l'article 19 de la loi de janvier 2016 impose de signaler les retouches sur les photos et l'article 20 (qui modifie le Code du travail) conditionne le mannequinat à la délivrance d'un certificat médical « attestant que l'évaluation globale de l'état de santé d'un mannequin, notamment au regard de son indice de masse corporelle, est compatible avec l'exercice de son métier ». Les contrevenants encourent six mois d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.
Entre-temps, les syndicats des agences de mannequins et des salariés signent un accord de santé au travail en juin 2012 avec le CMB dans le cadre de la convention collective nationale des mannequins. La direction générale du travail met quatre ans à l'entériner (en octobre 2016). Viennent ensuite les décrets du 27 décembre 2016, pris en application de la loi travail El Khomri d'août 2016, que les parties prenantes doivent désormais s'approprier. Sans compter que les textes d'application des amendements Véran ne sont toujours pas parus. Après plusieurs navettes avec l'Europe pour le premier, et la Haute Autorité de santé pour le second (la HAS a rendu un avis favorable le 14 septembre dernier sur les contours du certificat médical), décret et arrêté devraient être publiés au printemps 2017, assure le ministère de la santé.
Espoirs
Malgré ces lenteurs, les observateurs sont optimistes. « La ministre de la Santé a toujours soutenu les amendements » relatifs à l'image du corps, assure Olivier Véran. « Un retour en arrière est inenvisageable : il y a eu une grande réflexion, mobilisation, et médiatisation autour de ce sujet », ajoute-t-il.
« Cette nouvelle législation, parce qu'elle place le problème de la représentation du corps féminin dans la mode au cœur du débat médiatique et permet aux pouvoirs publics de réagir en fonction des évolutions de l'industrie, est de nature à faire bouger les choses », estime le sociologue de la mode Frédéric Godart (INSEAD).
Même si les défis ne sont pas minces (quels moyens aura la médecine du travail ?) « l'anorexie n'a pas de beaux jours devant elle », veut croire Frank Laffitte.
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