À Montreuil en Seine-Saint-Denis, selon la mairie, environ 10 % de la population réside en foyer d'hébergement pour travailleurs migrants, soit 10 000 habitants. En cette période d'épidémie de coronavirus, les problématiques d'hygiène et de prise en charge dans ces lieux de vie préoccupent beaucoup les praticiens libéraux installés dans la commune. Le Dr Jean-Michel Cattin (photo ci-dessous), généraliste et membre de l'Amicale des médecins de Montreuil, s'en inquiète. « Si on ne met rien en place, il y aura dans ces foyers, comme dans les Ehpad, des hécatombes, des morts silencieuses qui ne passeront pas dans les statistiques », alerte-t-il.
Promiscuité et insalubrité propices à la contamination
Le praticien s'est rendu lundi dernier avec un confrère dans l'un des foyers de travailleurs migrants de la ville, celui de Rochebrune, situé à deux pas de son cabinet. Sur place, le Dr Cattin n'a pu que constater les conditions de vie insalubres des résidents, qu'il a l'habitude de suivre au cabinet. « Officiellement, ils sont six par chambre mais en réalité ils sont beaucoup plus. Les conditions dans lesquelles ils vivent sont atroces. Je suis beaucoup de gens vivant dans ces foyers qui ont des pathologies lourdes, du diabète, de l'hypertension. Ces lieux sont de grands chaudrons suroccupés… Et on attend que ça pète », constate-t-il.
Craignant des conséquences dramatiques si le virus atteint ces établissements, avec des conditions propices à une propagation rapide de la maladie, les médecins de Montreuil se sont unis et sont en train de mettre en place des actions pour protéger cette population précaire. « Cette visite au foyer de Rochebrune a déclenché une réelle prise de conscience. Les médecins sont préoccupés pour la santé de ces patients-là tout d'abord, mais aussi pour la santé de la communauté tout entière ». Depuis dimanche, des groupes d’assistance sont ainsi formés pour chaque foyer. « Nous souhaitons mettre en place des binômes médecin-infirmier qui se rendront sur place pour prendre en charge les résidents », explique le Dr Cattin.
Population précaire « à l'abandon »
En colère, il estime toutefois que la problématique de ces foyers n'est pas assez prise en considération par les politiques. « Depuis le début, on réclame une prise en charge psychologique, sanitaire de ces gens. Nous avons eu des contacts avec l'ARS et la mairie… mais ça ne bouge pas ! Seule la préfecture est à notre écoute », déplore le praticien. La situation est d'autant plus préoccupante selon lui que les résidents de ces foyers sont pour certains sans papier, sans couverture maladie et ne connaissent pas bien le système de soins. « S'ils sont malades, ils n'iront pas à l'hôpital par peur d'être dénoncés et on aura du mal à identifier les éventuels cas », précise le Dr Cattin.
Autre difficulté soulevée par le généraliste de Montreuil, l'accès à la nourriture. Avec le confinement et la mise à l'arrêt de nombreuses activités, ces travailleurs précaires qui travaillent pour la plupart dans le bâtiment ou la restauration, n'ont plus aucuns revenus. « Dans le foyer que j'ai visité, la cuisine était fermée depuis deux semaines et nous avons dû envoyer les équipes de l'Armée du Salut pour distribuer des repas. En plus, le gestionnaire ne répond plus au téléphone, se désole le Dr Cattin. Ces foyers sont à l'abandon. »
La mairie assure en faire une priorité
Contactée par Le Généraliste, la mairie de Montreuil assure que le maire PCF Patrice Bessac a alerté les autorités préfectorales dès le début du confinement sur « la situation préoccupante des lieux d'hébergement collectif ». Trente résidents identifiés comme "patients à risque" et occupant l'un des sept foyers de la ville ont été isolés en chambre individuelle dans des hôtels. Mais la mairie assure qu'une demande de réquisition de locaux pour désengorger les établissements existants formulée par le maire à la préfecture n'a pour l'instant pas abouti. « Des agents municipaux sont également mobilisés sur le terrain pour aller dans ces lieux faire de la prévention et des kits d'hygiène ont été distribués », ajoute-t-on à la mairie, qui assure aussi être en contact constant avec les médecins des centres de santé municipaux de Montreuil et l'amicale des médecins libéraux.
Des directives ministérielles difficiles à appliquer
L'ARS Ile-de-France indique pour sa part que la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a élaboré une circulaire précisant des recommandations pour la prise en charge du Covid pour les personnes précaires. Il est notamment préconisé, pour les gestionnaires de structures d'hébergement, de prévoir un lieu d'isolement pour les patients suspectés de Covid ou encore de réserver un sanitaire au patient malade. Ces directives semblent difficiles à appliquer dans les situations de suroccupation de certains foyers.
Le ministère de la Santé a également mis à jour le 25 mars sa fiche directive à destination "des établissements d'accueil de personnes sans domicile y compris en parcours d'asile" pour le stade 3 de l'épidémie. Il y est notamment recommandé de désigner un référent Covid dans chaque structure, d'identifier un médecin de proximité disponible pour intervenir en cas de suspicion ou encore de « pré-identifier un secteur qui pourrait être dédié à l’accueil de plusieurs résidents Covid-19 dans le cas où l’épidémie s’intensifie ».
Ces initiatives et ces mesures de précautions semblent toutefois insuffisantes aux yeux des médecins libéraux du secteur, très inquiets pour leurs patients sur le terrain. « Nous craignons que ces travailleurs soient les oubliés de cette crise. On cherche encore qui sera notre Coluche ou notre Abbé Pierre », conclut le Dr Jean-Michel Cattin.
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